Tommie Smith : « Faire bouger les choses »

Votre image, c’est le cliché légendaire d’un podium en noir et blanc. Les gens vous reconnaissent dans la rue ?

Pas forcément. Mais avec ma taille, ils se retournent. Ceux qui connaissent le sport doivent juste se dire que je suis quelqu’un. Un ancien footballeur, basketteur... Tommie Smith, je ne sais pas s’ils savent qui c’est.

Etes-vous fier d’avoir laissé une trace politique dans le sport ?

Mon geste n’était pas fait pour ça. C’est dans ma nature de m’impliquer. Je suis une personne engagée. J’ai participé à faire bouger les choses, sans me changer moi-même. Je ne m’impliquerai pas dans un truc dont je ne suis pas fier. Et il y en a pas mal pour lesquels j’ai été sollicité ! Aujourd’hui, j’ai envie de voyager avec ma famille et réunir les choses que j’ai apprises ses 46 dernières années : athlétisme, éducation, regarder de jeunes talents grandir...

Auriez-vous pu être un grand athlète ?

Peut-être. J’avais juste 24 ans à Mexico, donc j’aurais encore pu faire carrière, en tout cas progresser. J’avais déjà établi plusieurs records sur 100 et 200 m. Et je n’avais qu’une idée en tête : les améliorer. Mais j’ai été forcé à me retirer. L’âge de maturité d’un sprinteur se situe entre 22 et 28 ans. Ma carrière a pris fin à la moitié de celle d’un Michael Johnson par exemple. Elle n’a duré que quatre ans. C’est que je n’étais pas destiné à ça. Ma vocation, c’était l’éducation. Pour moi, c’est la vie et une part fondamentale de mon existence. On ne parle plus de financier, de virtuel, mais de l’humain.

Usain Bolt rompt avec l’archétype du sprinteur boule de muscle et renoue avec le grand et élancé que vous incarniez. Qu’en pensez-vous ?

Vrai. C’est incroyable le poids qu’il doit trimbaler. Ça change des années précédentes où les mecs étaient tous petits, musclés, avec une incroyable explosivité dans les starts. Seulement la masse musculaire ne fait pas tout : les athlètes doivent aussi être formés à maintenir la vitesse sur la distance. C’est cela l’art du sprint. En ce qui concerne Usain Bolt ou même Asafa Powell, ce sont des bons athlètes qui vont faire quelque chose à Pékin. Mais moi, ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est de voir comment ils vont accepter humainement d’être des athlètes de niveau mondial.

Quel regard portez-vous sur Marion Jones, mère de famille et condamnée à la prison pour parjure dans l’affaire Balco ?

Pour moi, boire certains additifs qui augmentent la masse musculaire, c’est un comportement de dopage. Alors qu’attendre de quelqu’un qui se gave d’hormones sur une courte période ? Ce n’est ni bon pour le corps, ni pour le sport en général. Marion Jones s’est fait attraper et a dû revenir sur ses déclarations. Ça doit être un regret pour elle, sa famille, ses amis et ses coéquipiers. Qu’elle soit une femme ne change rien. Il s’agit juste de prendre des produits qui rendent meilleur.

Croyez-vous en l’athlétisme propre ?

Bien sûr. Je l’ai fait donc j’y crois. Le dopage, c’est une démarche : essayer de devenir ce que tu n’es pas ; gagner plus d’argent qu’une personne qui ne doit rien à la pharmacie. Certains en ont besoin car ils vivent au-dessus de leur moyen, feraient n’importe quoi pour avoir l’argent ou la gloire et vivre dans la catégorie sociale dont ils rêvent. Ça sonne faux et c’est ce qui mène à la drogue.

* Propos recueillis par Solenn Cherrier