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Cathy Freeman : « Je n’étais pas prédestinée à entrer dans l’histoire de mon pays »


Publié le dimanche 1er février 2009 à 07h03min

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Au crépuscule de ses 35 ans, Cathy Freeman, véritable icône australienne, revient sur sa carrière sportive sublimée par une médaille d’or aux Jeux de Sydney sur le tour de piste. Elle analyse l’impact que cela a eu sur son pays, elle qui est d’origine aborigène.




Vous aurez 36 ans le 16 février prochain, votre carrière d’athlète a pris fin pendant l’été 2001. Que faites-vous aujourd’hui ? Quel est votre métier, comment occupez-vous votre quotidien ?

Ma priorité est désormais ma vie privée. Je suis très heureuse de ce côté-là. Je vais me marier au mois d’avril. J’ai aussi une fondation à mon nom, en Australie, dirigée vers les enfants aborigènes. J’y consacre du temps, je m’implique beaucoup. J’ai également encore des activités dans les médias et le marketing. J’essaye de faire vendre certains produits au public, mais seulement en Australie. Je suis également régulièrement sollicitée pour des interventions sur la motivation, dans des séminaires ou des conférences. Enfin, j’ai réalisé un DVD et écrit un livre pour les enfants. Je travaille de la maison. Mais j’ai encore deux agents, l’un à Melbourne, l’autre à Londres.

Vous n’avez donc plus d’activité directement liée à l’athlétisme ?

Non. J’aimerais entraîner, mais c’est un travail très prenant, pour lequel il faut se donner à fond, 24 heures sur 24. Je m’y mettrai peut-être à 60 ans ! Sinon, j’entretiens des relations très cordiales avec la Fédération australienne d’athlétisme, mais elles ne débouchent sur rien de très concret.

Vous ne courez plus ?

Si, j’ai repris la course à pied en septembre dernier. Pour des raisons, disons psychologiques. Pour être plus heureuse. Je venais de perdre l’un de mes frères dans un accident de voiture. Mes autres frères ont pensé que reprendre le sport m’aiderait à ne pas tomber dans la dépression. Et puis, je me suis dit que ce serait aussi très bien pour mon futur mariage. Je cours quatre fois par semaine, en suivant un programme que m’envoie mon manager anglais. Mais je n’ai aucune intention de revenir à la compétition.

A l’époque, quelle raison avait motivé votre décision de mettre fin à votre carrière d’athlète ?

J’ai arrêté une année après les Jeux de Sydney. Mais sans l’avoir vraiment prémédité. Le déclic s’est produit pendant une course, aux Etats-Unis. Je n’avais même pas essayé de gagner. A l’arrivée, j’ai réalisé que c’était terminé. Ne pas essayer de gagner, c’était tellement peu moi qu’il était temps de passer à autre chose.

Comment avez-vous vécu votre après carrière ? Beaucoup d’athlètes y traversent des moments difficiles…

Je n’ai pas fait exception. Quand vous n’avez plus à penser à la course à pied, qui était au centre de votre identité, vous ne savez plus qui vous êtes. C’est une période difficile, étrange, effrayante. Du jour au lendemain, j’ai eu le sentiment d’avoir perdu ma place dans ce monde. Je me suis sentie totalement décalée, sans repères. Il m’a fallu découvrir qui était mes vrais amis. Quand vous êtes un athlète de très haut niveau, tout est fait pour vous, à votre place. Vous n’empruntez pas les mêmes routes que les gens normaux. Moi, j’avais mon assistante personnelle, mon manager. J’ai dû apprendre à devenir indépendante.

Votre médaille d’or olympique à Sydney vous a rendue riche et célèbre, adulée de tout un pays, au cœur de toutes les attentions. Votre vie n’a plus jamais été la même ?

Vous savez, je suis une personne assez timide, très discrète. Certains me jugent même énigmatique. Après les Jeux, je n’ai jamais eu l’impression d’avoir changé. Il m’a même semblé, parfois, que ma médaille d’or avait rendu les gens plus heureux et excités que je l’étais moi-même. Etre championne olympique était seulement un objectif que je voulais atteindre. Je n’ai jamais voulu devenir célèbre. Aujourd’hui, les gens en Australie se sont presque un peu approprié ma victoire. Un peu comme pour la mort de Diana ou le premier pas sur la lune, ils se souviennent où ils étaient et ce qu’ils faisaient pendant la finale du 400 m. Mais je n’appartiens pas au show-business. J’aspire seulement à mener une vie simple.

Que représentez-vous, aujourd’hui, en Australie ?

Une belle histoire, je crois, à laquelle beaucoup d’Australiens peuvent s’identifier. Je viens d’une famille assez laborieuse, je suis aborigène, une race qui a été victime d’une terrible oppression. Je n’étais pas prédestinée à entrer dans l’histoire de mon pays. Aujourd’hui, j’en fais pourtant partie.

La finale du 400 m des Jeux olympiques de Sydney a-t-elle été la course la plus difficile de votre carrière ?

Non. J’ai pu sembler complètement épuisée, à l’arrivée, mais cet état était plus nerveux, voire émotionnel, que physique. A la réflexion, je me dis que j’en ai peut-être fait un peu trop dans le côté dramatique (elle se marre). Mais l’énergie transmise par le stade, ce public qui me poussait de ses cris pendant toute la course, l’ambiance, c’était incroyable. En même temps, ce qui s’est passé pendant cette soirée était tellement le contraire de ce que je suis… Les gens étaient devenus fous. Pour répondre à votre question, il aurait fallu une Marie-José Pérec en forme pour que cette course soit la plus dure de ma carrière.

Vous avez revu Marie-José Pérec depuis les Jeux de Sydney ?

Une fois, oui. Nous avions été réunies par une chaîne de télévision, Canal + je crois. Et je vais vous dire : j’aurai toujours un profond respect pour Marie-José. A chacune de nos rencontres, elle m’a fait rire, elle m’a fait réfléchir et elle m’a donné envie de mieux la connaître. A mes yeux, elle est vraiment une personne formidable. Je prendrai toujours sa défense. Je sais que tout n’a pas été facile pour elle en France, mais je crois que nous ne devrions pas être aussi prompts à juger. La pression qui pesait sur elle était terrible. Peut-être même plus forte encore que sur moi.

Aux Jeux de Sydney, vous avez également été choisie pour allumer la flamme. Cette soirée de la cérémonie d’ouverture reste l’un des souvenirs les plus marquants de toute votre existence ?

Plus le temps passe, plus je suis heureuse de la façon dont les choses se sont passées au cours de cette soirée. Je suis très fière d’avoir allumée la flamme olympique. Et très fière de ne pas être tombée, ou de ne pas avoir mis le feu à la scène (éclat de rire) ! Mais, même encore aujourd’hui, plus de huit ans plus tard, je suis soulagée que tout ça soit terminé. Je suis timide, je n’aime pas me retrouver au centre des regards. C’est un trait de caractère propre au peuple indigène. Et puis, j’étais aux Jeux pour courir et gagner le 400 m.

Dans quelles circonstances vous avait-on demandé d’allumer la flamme ?

La question m’avait été posée cinq mois avant les Jeux. J’étais à Los Angeles. John Coates (l’un des membres australiens du CIO, ndlr) m’avait rendu visite pour m’en parler. J’ai dit oui tout de suite, j’étais très heureuse de la proposition. Mais je me souviens que John transpirait beaucoup, il devenait tout rouge. Il était nerveux de se retrouver face à moi pour un sujet d’une telle importance. Et moi, je commençais à m’inquiéter pour sa santé ! Par la suite, j’ai réussi à garder le secret. J’ai cru bon de prévenir mes deux partenaires d’entraînement. Mais mon coach n’était pas au courant. J’ai aussi été voir un psychologue du sport, pour lui demander des conseils sur la meilleure façon de gérer un tel moment, une telle responsabilité. Mais il n’a pas pu m’aider. Il était complètement sous le choc de ma révélation, incapable de trouver ses mots.

Depuis votre retraite, avez-vous été impressionnée ou séduite par une spécialiste du 400 m féminin ?

J’aime beaucoup la petite Américaine, Alyson Felix. Elle me fait un peu penser à moi : elle n’est pas très perméable à l’environnement extérieur, elle ne cherche pas à devenir une superstar. Elle a l’air heureuse, épanouie, bien dans sa peau. Et sur la piste, elle est magnifique.

Et que vous inspire Usain Bolt ?

Je crois que l’athlétisme avait désespérément besoin de son arrivée au premier plan. C’est une bouffée d’air pur après l’affaire Marion Jones, les histoires des sprinters grecs à Athènes… Il est drôle, charismatique, incroyablement talentueux. Et je le crois propre. D’ailleurs, je ne veux même plus me poser la question. J’en ai assez de penser dopage dès qu’un athlète réalise quelque chose. Moi-même, je sais que beaucoup de gens pensent que j’ai pris des drogues.

Vous avez mentionné beaucoup œuvrer pour les jeunes Aborigènes dans le cadre de la Fondation Cathy Freeman. Comment fonctionne-t-elle ?

Nous concentrons nos efforts sur les très jeunes enfants. Nous essayons de leur apporter ce qu’ils n’auraient jamais eu : école, éducation, voyage, support… Nous les emmenons surfer, nous leur offrons la possibilité de prendre l’avion pour la première fois de leur vie, nous proposons aussi des programmes de soutien après les cours, pour leur éviter de tomber dans l’alcool ou la drogue. Tout cela exige beaucoup d’engagement personnel, car il est obligatoire d’être toujours sincère avec une communauté aussi désespérément dans le besoin. Mais j’essaye d’apporter ma pierre.

Vous avez le sentiment, aujourd’hui, que votre victoire aux Jeux de Sydney, votre notoriété et votre image ont fait une différence, pour les Aborigènes d’Australie ?

Je crois avoir beaucoup fait pour changer l’opinion que les Australiens ont des Aborigènes. Dans le sport, quand un athlète est sur la piste, il n’y a plus de race ou de couleur de peau. Mais je ne dirais pas que j’ai vraiment fait une différence. Il y a encore tellement de chemin à accomplir. Et puis, je n’ai jamais été une Aborigène typique, car j’ai grandi dans un environnement familial normal, j’ai été éduquée, mes parents m’ont toujours accompagné et soutenue. Disons que j’ai contribué à redonner un peu d’espoir à cette population. Mais je ne vivrai sûrement pas assez longtemps pour voir sa condition réellement changer.

* Propos recueillis par Alain Mercier


Voir en ligne : L’express.mu

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