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Oscar Pistorius, l’athlète sans les jambes


Publié le mardi 3 juillet 2007 à 09h08min

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Amputé des deux jambes, le jeune Sud-Africain Oscar Pistorius court le 400 m en 46"56. Un temps comparable à ceux des athlètes valides. Mais le monde de l’athlétisme s’interroge : ses prothèses transforment-elles son handicap en atout ? Peut-on l’autoriser à s’aligner aux jeux olympiques ? Une controverse qui remet en cause la notion même de handicap.




Jusqu’à présent, tout était simple dans le monde du handisport. Les sportifs amputés couraient (un peu) moins vite que les valides. Les valides applaudissaient leur abnégation et leur courage, louaient l’étonnante adaptation du corps. Et puis un athlète est venu mettre la pagaille. Oscar Pistorius a 20 ans. Il est amputé des deux pieds, court sur des prothèses et rêve de concourir aux jeux olympiques. Ce qui pose un problème, c’est que ses chronos ne sont pas loin de lui en donner le droit. Sur 400 m, Pistorius a réalisé en mars 46"56, à seulement trois dixièmes des minima olympiques de la distance (46"3). D’ores et déjà, Pistorius pourrait être éligible pour le relais 4x400 m sud-africain. La fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avoue être dans le « brouillard », face à un cas de figure qui « ne s’était jamais posé avant et n’avait même jamais été envisagé comme possible ».

Que faire d’un handicapé qui court sur des prothèses quand il se met à courir aussi vite qu’un valide ? N’est-ce pas la preuve qu’il est en fait avantagé par son appareillage ? A un an des JO de Pékin, la controverse est en train de faire de Pistorius, surnommé « Blade Runner », une star de l’athlétisme. A tel point qu’il a été invité par les organisateurs du meeting de Sheffield, qui l’opposeront le 15 juillet au champion du monde du 400 m, l’Américain Jeremy Wariner.

Maladie congénitale

Oscar Pistorius est né en novembre 1986, à Johannesburg. Atteint d’une maladie congénitale, il n’avait pas de péronés et seulement deux orteils au bout de chacun de ses pieds atrophiés. Ses parents, propriétaires d’une mine de zinc, avaient le choix entre le condamner à une vie en fauteuil roulant ou l’équiper de prothèses. Un mois avant son premier anniversaire, Pistorius a été amputé des deux jambes, au-dessus des chevilles. Il dit avoir grandi sans jamais qu’on lui rappelle qu’il était handicapé. Et il a d’ailleurs coutume de dire qu’il ne l’est pas. « C’est vrai, je n’ai pas de jambes, mais je peux faire beaucoup de choses que vous-même ne pouvez pas faire », déclare-t-il à Libération, qui l’a joint par téléphone.

Etudiant à la faculté de commerce de l’université de Pretoria, il a grandi en jouant au tennis, au water-polo et au rugby. C’est en 2004 qu’il s’est mis à l’athlétisme, contraint et forcé, après une grave blessure au genou subie lors d’un match de rugby. Six mois plus tard, il débarque aux jeux paralympiques d’Athènes. Dominique André, athlète français qui termina quatrième du 100 m derrière le Sud-Africain se souvient : « Personne ne le connaissait. Je me rappelle l’avoir vu à l’entraînement, j’avais l’impression qu’il était assez peu rapide. En série du 200 m, il est presque tombé au départ. Tout le monde est parti, puis on l’a vu revenir. Il a déposé tout le monde dans la ligne droite ». En finale du 200 m, le nouveau venu remporte l’or, explosant le record du monde de sa catégorie en 21"97, après avoir conquis le bronze sur 100 m. Depuis, Pistorius a battu 26 records du monde handisport.

Paradoxalement, ce niveau de performance jamais atteint par un athlète non-valide s’explique par la sévérité et la gravité exceptionnelle du handicap du Sud-Africain. La plupart des adversaires de « Blade Runner » ne sont amputés que d’une jambe, ce qui constitue un désavantage, affirme Dominique André. « C’est une question de symétrie dans la course. Pour un simple amputé tibial, il y a par exemple une importante différence musculaire entre la cuisse du membre valide et l’autre ». Par ailleurs, ajoute Patrice Gergès, ex-coureur de 400 m et directeur technique de l’athlétisme handisport français, Pistorius a été amputé très bas, juste au-dessus des chevilles. Cela lui permet, à la différence de bon nombre de ses concurrents, de ne pas porter de genouillères qui entravent le cycle de la jambe. Enfin, Pistorius a été amputé « très tôt ». Ce qui explique sa prodigieuse adaptation aux pieds artificiels.

Le fantasme des « hommes-machines »

En mars, le jeune homme a terminé deuxième du 400 m du championnat national, en 46"56. Un temps certes bien moins bon que le record planétaire (43"18) mais qui rend légitime son rêve des championnats du monde à Osaka et surtout des JO de Pékin. « Je ne me considère pas moi-même comme un handicapé. Je me vois comme un athlète et les JO, c’est le plus grand événement sportif de la planète. Donc, j’ai envie d’y participer, comme n’importe quel sportif de haut niveau. Pourquoi devrais-je être traité différemment ? »

Il ne serait pas le premier à participer aux JO. En 1904, aux jeux de Saint Louis, l’Américain Georges Eyser remporta six médailles (dont trois d’or) en gymnastique avec une jambe de bois. En 1984, l’athlète néo-zélandaise Neroli Fairhall, paraplégique, prit part au concours du tir à l’arc. Enfin en 2000 et 2004, l’Américaine Marla Runyan, malvoyante, courut le 1500 m et le 5000 m. Mais dans aucun de ces cas, le handicap ne pouvait décemment être invoqué comme un avantage. Les prothèses de Pistorius ouvrent, elles, la boîte aux fantasmes et aux scénarios de science-fiction où des « hommes-machines », « cyberdopés », rivaliseraient avec de simples humains.

Lames incurvées en fibre de carbone

Coïncidence ou pas, quelques jours après le retentissant chrono de « Blade Runner » aux championnats d’Afrique du Sud, l’IAAF publie, fin mars, un règlement interdisant le recours à « tout dispositif contenant ressorts, roues ou autres éléments fournissant à l’utilisateur un avantage sur un autre athlète n’utilisant pas ce dispositif ». Un texte interprété comme un coup d’arrêt aux ambitions de Pistorius. Mais la fédération rectifie vite le tir. « Oscar peut concourir, personne ne peut l’empêcher de courir. Et cela n’a jamais été notre but de l’empêcher de concourir. Cela aurait été injuste », a déclaré il y a dix jours Nick Davies, directeur de la communication de la fédération. Le règlement, assure-t-il, visait en réalité les gadgets sophistiqués que les manufacturiers mettent dans les chaussures des athlètes valides. L’IAAF, toutefois, n’a pas accordé de feu vert définitif à Pistorius : « Nous devons déterminer si ses prothèses lui confèrent un avantage injuste. Il faut comprendre que nous sommes dans le brouillard. Tout cela est si neuf. Oscar va nous aider à avancer sur cette question. Peut-être que certaines prothèses seront autorisées, d’autres pas ».

Les experts de l’IAAF vont donc se pencher, dans les semaines à venir sur les « Cheetah », ces lames en fibre de carbone incurvées qu’il chausse pour courir. « Ce type de prothèse est utilisé depuis quatorze ans par d’autres athlètes qui n’ont jamais réalisé mes performances. C’est la preuve que je dois mes résultats à mon talent et à mon travail », objecte Pistorius. Certains chercheurs en biomécanique se sont déjà penchés sur ces étonnants pieds artificiels, pour aboutir à la conclusion qu’ils sont loin de valoir l’extraordinaire machine humaine. Le chercheur américain Robert Gailey affirme ainsi dans une étude que l’efficacité (quantité d’énergie produite divisée par la quantité d’énergie absorbée) des prothèses de pied utilisées sur la piste est de 82 % contre 241 % pour le pied humain, notamment parce que les tissus mous qui permettent la jonction entre le moignon et les prothèses empêchent une restitution optimale de l’énergie. Cette déperdition oblige d’ailleurs Pistorius à solliciter davantage les muscles de ses hanches. Mais cela ne suffit pas à « disculper » les Cheetah. « Si le système du pied artificiel est un désavantage évident sur une courte distance, affirme Patrice Gergès, il permet une restitution d’énergie constante ». Dit autrement : le membre artificiel ne connaît pas la fatigue.

« Ce n’est pas du sport, c’est du spectacle »

« Pistorius est un médiocre partant. Mais quand il a vaincu son inertie, ses performances deviennent nettement supérieures ». Sur 100 m, le temps référence de Pistorius, 10"91, le placerait seulement à la 183 ème place des performances françaises réalisées depuis le début de l’année. Sur 200 m, ses 21"58 en feraient le 55 ème performer. Sur 400 m, ses 46"56 le placent à la sixième place. « Pistorius maintient une fréquence importante tout au long de la course, alors que le pied des athlètes valides finit par s’écraser, augmentant le temps de contact au sol du pied au fur et à mesure de la course », affirme Pierre-Jean Vazel, entraîneur du sprinter français Ronald Pognon et statisticien de l’athlétisme, qui ajoute : « Mais contrairement à ce qu’on dit, sa foulée, sur les courses que j’ai visionnées, n’excède pas la normale ».

Là réside l’autre reproche fait à Pistorius : la taille de ses prothèses augmenterait celle de ses foulées. Ce procès a été instruit par le monde handisport lui-même, dès 2004. Là où l’appareillage de ses adversaires « simples amputés » ne peut dépasser en taille la jambe valide, Pistorius est accusé d’avoir profité de sa double amputation pour se grandir artificiellement. L’Américain Marlon Shirley, qui était avant Pistorius la superstar du handisport est devenu le principal détracteur de son successeur : « Pistorius veut courir en 20" ? On verra courir un mec de 2 m en 20". C’est cool. Mais ce n’est pas du sport, c’est du spectacle. Je ne suis pas sûr qu’il serve le handisport » lâcha-t-il un jour. Le Sud-Africain s’en défend : « C’est le contraire, avec mes prothèses, je suis deux centimètres moins grand que je devrais être. Shirley est un has been, qui ne court plus depuis quatre ans. Je ne sais pas pourquoi les journalistes ont été le rechercher. Il n’a aucun record. Je ne vais pas consacrer de l’énergie à lui répondre ». Aujourd’hui, Pistorius assène sa certitude : « Les experts de l’IAAF ont peur de ce qu’ils vont trouver. Ils vont voir que je n’ai aucun avantage ».

« Pas d’adversaires parmi les handicapés »

Mais pour François Lavaste, directeur du laboratoire de biomécanique de l’Ensam (Arts et métiers), c’est autant les avantages que les désavantages qui ôtent sa pertinence au rêve de Pistorius de se mesurer aux valides. « La situation physiologique, la biomécanique sont trop différentes pour que la comparaison avec les valides ait un objet. Toute proportion gardée, c’est comme un sauteur en hauteur et un sauteur à la perche ». Dominique André n’est pas loin de penser la même chose : « Si l’on est objectif, cela n’a guère de sens. Ou alors, il faudrait faire courir les meilleurs valides sur des prothèses ».

Il reste au Sud-Africain un argument, qui tient plus de l’esprit du sport : « Il est normal que Pistorius veuille s’aligner avec les valides, dit Patrice Gergès. Parce qu’il n’a pas d’adversaires parmi les handicapés. Et la valeur d’un homme ne peut se mesurer qu’en référence aux meilleurs. C’est vrai en sport, comme partout. Notre société fonctionne comme ça ». Tout seul, un homme peut courir. Mais il ne peut pas faire la course.


Voir en ligne : Liberation

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