Le peloton est unanime, Genève ne doit pas abandonner son marathon

Opiniâtre et solitaire, le brave Denis n’en finit pas de transpirer son pensum. On a déjà dégonflé l’arche d’arrivée et le pont du Mont-Blanc, nœud gordien, a depuis longtemps été rendu à sa triviale condition. Si cette année, la tyrannie automobile n’a pas eu raison du Genève Marathon, il a fallu déployer des trésors de compromis pour sauver sa 5 ème édition. Mais là, c’est le chantier du tram, spectre tentaculaire, qui risque bien de lui faire la peau.

« En cinq ans, on a déjà failli jeter sept fois l’éponge. Là, on arrête pour de bon. Mais si un repreneur se signale, on est prêt à lui céder notre matériel et notre savoir-faire », a répété Grégoire Pennone. Son bilan a valeur de testament. L’enthousiasme des premières foulées, en 2005, a cédé le pas à une extrême lassitude. C’est dans la voiture-balai que l’organisateur a tenu à vivre la fin de son dernier marathon. « La fin d’une belle aventure », se désole François Salamun, l’un des 500 bénévoles de l’association.

Pour le sport, on pourrait faire un effort

Devant cette voie sans issue, le peloton, unanime, a dit sa tristesse et son incompréhension. A peine arrivés et déjà prêts à repartir, les galériens du marathon ! « Ce parcours est génial, l’organisation tip top. C’est une formidable image de marque pour la ville, s’exclame Philippe Deletombe, le président du Chambéry Triathlon, venu à Genève en repêchage après l’annulation « lamentable » du marathon de Lyon. « J’ai couru à Berlin et à New York. Ici, j’ai trouvé autre chose, de la convivialité, une dimension plus humaine. Il faut tout faire pour sauver votre marathon », abonde Ricardo, un Italien de Milan.

Très nombreux parmi les 3200 concurrents, les Genevois pleurent et désapprouvent eux aussi cette probable disparition. « C’est nul, tranche Cornelia. Pour le sport, on pourrait faire un effort ». « Courir à domicile, c’est le pied. En traversant le pont du Mont-Blanc, j’avais la chair de poule », vibre Olivier. « Il faut privilégier le semi-marathon, il s’inscrit si bien dans la rade », plaide Jo Koster (5 ème), le meilleur Genevois après le malheureux abandon de Philippe Dard.

Et si ces coureurs frustrés, déjà gagnés par la nostalgie, étaient entendus ? Et si le marathon genevois, malgré un calendrier national saturé, trouvait une issue de secours ? Réponse de Michael Kleiner, le secrétaire général du DCTI, chargé des sports. « Il serait judicieux de réunir autour d’une table tous les acteurs liés au marathon. Et pas après l’arrivée du tram à Bernex ! Et puis, surtout, se poser la vraie question. Genève veut-elle, oui ou non, continuer à organiser des manifestations sportives ? » 

– L’inconnu qui gagne à être connu

Le Genève Marathon assume ses choix. L’austérité les lui impose et une certaine philosophie les lui inspire. En réduisant drastiquement ses primes, il s’est retiré de la foire d’empoigne qui règne sur le marché du marathon. « On passerait presque pour des marchands de tapis », sourit François Salamun, l’homme chargé de monter le plateau de la course. Sans pactole à rafler, les cracks ont donc passé leur chemin. Résultat : tandis que Prague (disputé le même jour) se targue d’un nouveau record en 2h07’48", Genève applaudit le succès en solitaire de Germa Tsige, un illustre inconnu venu d’Addis-Abeba, vainqueur en 2h19’49" avec vingt minutes d’avance sur son dauphin !

« Recruté » par Tesfaye Eticha et soutenu par un sponsor local (« Un geste humanitaire », explique Richard Morath), l’Ethiopien a terminé son premier marathon vidé et un chèque de mille francs en poche. Ainsi va la course à la vie… De son côté, Eticha s’est déchaîné sur le semi en pulvérisant le record (1h04’19"), pas loin de son meilleur chrono (1h02’36"), réalisé il y a… treize ans au Mexique ! Ne regrette-t-il pas d’avoir renoncé au marathon pour des raisons financières ? « Non, si je me suis abstenu, c’est parce que j’ai disputé le marathon de Zurich il y a un mois. Là, je suis fatigué. Mon prochain objectif, c’est du repos ! » répond le Stadiste.

– Dufaux, pari gagné

3 ème de l’épreuve en 2h40’19", le néophyte Laurent Dufaux a atteint son but et gagné ses galons de marathonien ! Le corps affûté, comme à ses plus belles envolées alpestres, et la tête bien accrochée. « En course à pied, c’est elle qui commande, surtout au-delà du fameux mur des 35 km », analyse l’ancien grimpeur, heureux comme un gosse sur le podium d’arrivée.

Que retiendra-t-il de cette première expérience sur la distance mythique ? « Beaucoup de fatigue. C’est bien pour cela que je me suis mis au marathon, pour le plaisir de l’effort, pour continuer à faire marcher mon gros cœur ! »

Une course régulière

Il aurait pu choisir la nuée humaine de Berlin, il a préféré l’ambiance plus confidentielle de Genève. « On se retrouve vite seul, livré à soi-même. Il faut savoir alors gérer sa course, ses pulsations, ses sensations. Je manque peut-être d’expérience mais j’ai l’avantage de connaître parfaitement mon corps. Malgré un point de côté à 5 km du but, j’ai pu mener mon effort avec une parfaite régularité ».

Son prochain marathon ? « Je ne l’imagine pas encore. Là, c’est stop baskets ! Quand l’envie reviendra, il y aura d’abord Morat-Fribourg et Marseille-Cassis ».

– En chiffres

• En course
  3231 coureurs (sur 3694 inscrits) ont disputé la 5 ème édition, dont 896 marathoniens. C’est 14 % de plus qu’en 2008.

• Records
  Déjà le plus rapide sur le marathon, Tesfaye a pulvérisé le record du semi-marathon en 1h04’ 29". Idem pour l’Ethiopienne Askale Marachi, 1h15’ 57".

• Recyclage
  3 ème en 2h40’19", Laurent Dufaux a mis dans le vent ses anciens rivaux, Jalabert (2h45’52" à Barcelone) et Armstrong (2h46’45" à New York).