Duncan Perrillat, le corps et la cause
Publié le mercredi 25 juin 2025 à 12h18min
Ce n’est pas un record, ce n’est pas un caprice d’athlète. C’est un cri sourd dans un monde bruyant, une marche volontaire vers l’extrême pour faire entendre l’essentiel. Duncan Perrillat, jeune ultrarunner français, s’est élancé dans un défi insensé : courir 100 kilomètres par jour pendant 30 jours. Une traversée physique, mentale, existentielle, menée sans artifices et sans chaînes. Récit d’un mois d’humanité radicale, où chaque pas devient une parole, et chaque douleur un engagement.
Courir jusqu’à l’os de la vérité
Il faut parfois courir longtemps pour commencer à se rencontrer. Courir jusqu’à ce que les muscles ne soient plus des armes, mais des prières. Courir non pas pour fuir, mais pour faire face. En mai 2024, Duncan Perrillat s’est lancé dans un projet qui dépasse la notion même de performance. Pendant un mois, il a décidé de courir 100 kilomètres par jour. Sans relais, sans assistance démesurée, sans pause. Seul, ou presque, face au bitume, au silence, à la cause. Et derrière ce chiffre vertigineux (3 000 kilomètres en 30 jours) il y a autre chose qu’un exploit sportif. Il y a une question posée au monde. Une forme de poésie par l’effort. Et peut-être, surtout, une tentative de réconciliation.
L’effort comme langage politique
Ce n’est pas un pari fou né d’un soir d’ennui. C’est un projet mûri, pensé, nourri de lectures, de colères, de rêves et de fatigue accumulée. Duncan Perrillat n’est pas du genre à courir pour briller. Il court pour dire. Et ce défi, qui semble absurde à première vue, naît en fait d’une urgence intime et collective : faire entendre la souffrance du vivant, la violence faite au monde et à ceux qui le peuplent, humains et non-humains. Duncan ne cherche pas à battre un record homologué. Il cherche à réveiller une attention perdue, à sortir de l’indifférence anesthésiante, à transformer la course en acte politique.
Depuis plusieurs années, il observe le monde se durcir, les corps s’endurcir, les esprits s’endurcir aussi. Et face à la déshumanisation, à la destruction environnementale, à la disparition du sensible, il choisit de répondre par l’extrême, mais l’extrême du sensible : offrir son propre corps en fatigue, en mouvement, en fragilité, pour témoigner. Il n’y a pas de sponsors tapageurs, pas de drones à chaque tournant, pas d’équipe de comm’ rodée. Juste une route, une intention, et une voix.
Un coureur contre le vacarme
Né en 1992 à Nevers, Duncan Perrillat n’a jamais eu pour ambition de devenir une star du sport. Il a d’abord couru comme d’autres écrivent. Pour comprendre. Pour guérir. Pour se tenir debout. Très vite, il se distingue sur les distances classiques, montre un talent certain sur 10 km, semi-marathon, marathon. Mais au fond, ce n’est pas là que se joue sa vérité. Là où d’autres cherchent les podiums, Duncan cherche l’alignement. Entre ses pensées, ses actes, ses convictions. Très tôt, il lie sa pratique du sport à des causes sociales et écologiques. Il lit, il milite, il s’engage. Il court pour Médecins du Monde, pour les sans-abri, pour le climat. Mais ce qui le distingue, c’est qu’il ne s’en sert jamais pour se mettre en avant. Il efface son ego à mesure qu’il accélère.
Sa silhouette est fine, nerveuse, presque sèche. Mais dans son regard, c’est une douceur intransigeante qui frappe. On sent chez lui la tension permanente entre une grande tendresse pour le monde, et une colère sourde contre ce qu’il devient. Il ne fuit pas. Il avance. Et ce défi (3 000 kilomètres en 30 jours) s’inscrit comme un prolongement logique de sa trajectoire. Une tentative de vivre ce qu’il croit. Jusqu’au bout. Et jusqu’à l’os.
Une diagonale de l’engagement
Le défi n’a pas pour but de relier deux villes mythiques, ni de suivre une ligne parfaite. Il trace une diagonale humaine et géographique à travers la France, pensée pour croiser les regards, les réalités, les souffrances oubliées et les beautés fragiles. Duncan Perrillat est parti du sud-est, près d’Avignon, pour remonter doucement vers le nord et l’ouest. Chaque jour, une étape d’environ 100 kilomètres, en passant par de petites villes, des campagnes, des banlieues, des territoires ruraux parfois désertés.
Le choix du parcours ne doit rien au hasard. Il croise des lieux de lutte écologique, des ZAD, des fermes en conversion, des centres d’accueil pour personnes en exil, des écoles engagées dans la transition, des hôpitaux publics menacés. Chaque ville traversée devient un micro-événement. Non pas pour applaudir un héros, mais pour parler, écouter, faire réseau. Il y a dans ce trajet une logique de tissage. Le coureur devient messager, liant les fragments d’un pays morcelé, en proposant un chemin d’attention partagée.
La sueur, le doute, et l’essentiel
Courir 100 kilomètres par jour pendant 30 jours, ce n’est pas un défi logistique. C’est une mise à nu. Il ne s’agit pas d’un projet avec motorhome, masseur personnel et ravitaillements calibrés. Duncan a choisi une logistique légère, fidèle à son éthique : minimaliste, locale, solidaire. Une camionnette aménagée l’accompagne, conduite par un ami de longue date, à la fois soutien moral et gardien de la réalité. Pas d’hôtel, pas de luxe. Chaque soir, Duncan dort chez l’habitant, dans des lieux militants ou des hébergements improvisés. Il mange local, souvent végétalien, selon ce que lui offrent les rencontres.
La douleur est omniprésente. Le corps se rebelle, les tendons hurlent, les pieds se fendent. Mais ce n’est pas la douleur qui le fait douter. C’est la solitude, parfois. Ou l’impression d’être inaudible. Certains jours, il traverse des zones où personne ne l’attend, où personne ne comprend. Il court quand même. Parce que l’acte de courir devient alors un acte de présence, une réponse à l’oubli.
Et puis il y a les jours lumineux, ceux où des enfants courent quelques mètres avec lui, où une vieille dame l’attend au bord de la route, où une école suspend ses cours pour l’accueillir. Là, le sens rejaillit. Et la fatigue devient offrande.
100 kilomètres par jour : humainement possible ?
On pourrait croire à une fiction, à une hyperbole moderne destinée à flatter l’imaginaire du dépassement. Et pourtant, courir 100 kilomètres par jour pendant un mois n’est pas hors du champ du possible humain. Mais cela reste une entreprise à la frontière du soutenable.
Sur le plan physiologique, le corps humain est capable d’une endurance extrême, à condition qu’il soit préparé par des années de pratique ciblée, une connaissance intime de ses signaux, une alimentation adaptée, et une gestion millimétrée du repos. On parle ici de coureurs aguerris, ayant déjà expérimenté de longs ultra-trails ou des traversées de plusieurs centaines de kilomètres. À ce niveau, le facteur limitant n’est pas uniquement musculaire : les articulations, les tendons, le système digestif, la régulation thermique et surtout le mental deviennent les véritables champs de bataille.
Les rares précédents dans l’histoire du sport d’endurance confirment que cela peut se faire… au prix d’un épuisement progressif, parfois irréversible. La marge d’erreur est infime. Le corps doit s’adapter dès les premiers jours, sous peine de s’effondrer à mi-parcours. L’esprit, quant à lui, doit supporter la répétition, la douleur sourde, le doute lancinant.
Mais ce qui rend cela envisageable, et même admirable, c’est que le coureur ne court pas contre son corps, mais avec. Il écoute, ajuste, accepte. Il transforme la douleur en langage, l’usure en dialogue. Duncan Perrillat ne cherche pas à prouver sa supériorité physique. Il explore une autre dimension de la course : celle du sens, qui seul permet de tenir quand le corps vacille.
Est-ce humainement possible ? Oui. Mais seulement si, derrière chaque pas, il y a une intention plus vaste que la performance. Une forme d’alignement entre le corps, la cause, et la conscience.
Pour Duncan, et pour nous : continuer à courir ensemble
Alors que le dernier jour du défi approche, quelque chose a changé. Chez lui, bien sûr, le visage creusé, les muscles consumés, mais aussi autour de lui. Il ne court plus seul. Derrière lui, dans ses pas, une chaîne invisible s’est formée. Pas une armée, non. Une constellation. Des coureurs anonymes, des enfants, des rêveurs, des fatigués du monde qui trouvent là une voie possible. Celle de l’effort sincère, du geste incarné, du refus pacifique.
Duncan Perrillat n’a rien conquis. Il n’a rien gagné. Mais il a offert un espace, une direction, une forme de lumière. Il a montré qu’on peut courir autrement, penser en courant, sentir en s’épuisant, et peut-être même aimer en allant au bout de soi.
Alors, Duncan, merci. Merci de nous rappeler que le corps est politique, que l’effort est poétique, que l’endurance est une manière d’habiter le monde. Merci de nous montrer que l’on peut poser un acte fort sans crier, sans détruire, sans imposer. Et surtout, merci de nous tendre la main, jour après jour, pour nous inviter à courir avec toi. Peut-être pas 100 kilomètres. Mais quelques pas, avec le cœur.
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