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Le Médoc : Un marathon où l’on trinque vraiment


Publié le samedi 16 septembre 2006 à 08h36min

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Le marathon du Médoc, c’est 42 kilomètres de montées en plein cagnard, où, déguisés en Zidane, en Schtroumpf ou en Jésus, les coureurs se désaltèrent aux grands crus.




Kilomètre 5, première station, ou plutôt premier « test oeno-sportif » selon l’appellation contrôlée en vigueur. Jésus, couronné de lauriers et monté sur les coussins d’air d’une paire de Nike dernier cri, pose sa croix (en polystyrène) et tape la discute avec Judas, toge blanche et barbe de trois jours. Au pied des tourelles du château, les deux hommes se réconcilient autour d’un verre de château-pichon-longueville, un médoc grand cru classé de Pauillac, réputé corsé et long en bouche. Les deux coureurs apprécient : « Voilà qui méritait le détour ! » Et même un sacré détour de 42,195 kilomètres pour les 8500 participants du marathon du Médoc, une grande sarabande créée il y a vingt et un ans par une bande de copains à l’issue d’un repas arrosé, forcément arrosé. A l’époque, ils partirent 500. Cette année, ils sont dix-sept fois plus, dont les trois quarts déguisés, à serpenter sous la fournaise à travers les vignes en ce samedi de début septembre.

Dégustations « sauvages »

Petit problème arithmétique pour se mettre en jambes : sachant que le parcours traverse 50 châteaux grand cru, qu’il offre 20 haltes dégustations, pardon, « tests oeno-sportifs », dûment homologués, et que de nombreux particuliers ouvrent leurs caves pour des dégustations « sauvages », combien de litres à l’heure consomme un athlète qui se respecte ? L’équation intrigue l’apprenti marathonien. Celui de Libération s’était promis de plancher. En arrivant, il visait donc du 12, voire du 12,5. Pour son baptême du feu, il a eu droit à du 36. 36 degrés à l’ombre ! Léger souci supplémentaire : dans le Médoc, il n’y a pas d’ombre. Les organisateurs l’avaient bien amadoué : « Tout le monde est le bienvenu dans cette course. C’est une fête, on n’y vient surtout pas pour réussir une perf’ ». Ça tombait bien. En fait de « perf’ », le néophyte rêvait d’une perfusion de ces grands crus aux tannins tous plus séduisants.

Bâtisses majestueuses

Avant de s’y plonger, l’homme de goût ­ qui sommeille en tout goûteur se devait toutefois de jeter un oeil à l’environnement. Classé dans le top 10 des marathons où il fait bon souffrir, celui-là vaut d’abord par son décor. A peine sorti de Pauillac, le pèlerinage quitte le bitume pour s’engager, entre les vignes, sur les chemins en grave. Sur la gauche se déroule l’estuaire de la Gironde, large et apaisé. Sur la droite, les premiers plants s’alignent en rangs serrés. Au loin, les contreforts de grandes bâtisses majestueuses réfugiées derrière de hauts murs se découpent sur un ciel bleu azur. Le soleil qui vient cogner sur les cailloux blanchâtres éblouit les coureurs. « Attention, l’ensemble du parcours est vallonné », avait prévenu un connaisseur. En effet. Pendant que les plants se prélassent à flanc de coteaux, les ascensions succèdent aux raidillons et les grimpettes aux montées. Après l’arithmétique, un mystère topographique vient titiller les neurones de l’athlète incrédule : comment expliquer que l’on puisse revenir à son point de départ, Pauillac, quand on n’arrête pas de grimper ? L’effet de quelques effluves vinicoles ?
Pour oublier les dénivelés, rien de tel que d’observer les déguisements. Il y a d’abord pléthore d’infirmières, de médecins, de diablotins fourchus ou de faux hommes-sandwichs perruqués aux couleurs du « 118-218 » qui déclenchent l’entêtant « Toutouyoutou » sur leur passage.

Beaucoup d’hommes se travestissent en femmes en se dotant d’accessoires pas toujours du meilleur goût. Mais d’autres panoplies sont moins attendues. Deux jeunes femmes, une brune et une blonde, habillées en bunnys de Playboy, s’offrent un franc succès plutôt masculin. Elles accélèrent au moment où, du bord de la route, un vieil égrillard leur lance : « Méfiez-vous mesdemoiselles, c’est l’ouverture de la chasse ! » Trois ramoneurs, suie sur le visage et petite échelle accrochée dans le dos, croulent sous les propositions féminines. Quelques kilomètres plus loin, un grand brun portant le maillot de Materazzi échappe de quelques foulées au crâne rasé de Zidane. Une légion romaine charge en désordre, tandis qu’un quarteron d’angelots, flanqués de larges ailes dans le dos, avance groupé. Un spectateur les encourage : « Jésus est 500 mètres devant... » On le retrouve trois kilomètres plus loin, le nez dans un saint-julien. Sacrée descente, le messie ! Cette fois, il a opté pour un château-léoville-las-cases. Les connaisseurs y perçoivent des notes de réglisse qui se prolongent dans le palais. « Léger et raffiné », commente le martyr. « Not bad », ajoute un Ecossais en kilt. Car la procession rameute dans toute l’Europe, et ailleurs : des Suédois, des Anglais, des Allemands, des Américains et même des Japonais ont fait le déplacement pour cavaler sous le soleil.

Blasphème

Un hélicoptère survole la course qui franchit les grilles du château de Beychevelle. Le défilé franchit les hautes grilles en fer forgé, longe les pelouses parfaitement entretenues, et est accueilli dans le parc au son du Carmen de Bizet. Cinq cents mètres plus loin, un orchestre joue la symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Nous voilà à l’entrée du domaine du château-branaire-ducru, un grand cru classé en 1855 dont l’âge moyen des parcelles atteint 35 ans. Zorro tombe le masque pour en avaler une lampée. L’insolation menaçant, le reporter blasphème : il se réfugie dans un coin d’ombre pour s’asperger d’eau pendant dix minutes.

La température redescend. Il reprend sa place dans un cortège devenu muet. La souffrance a coupé les vannes des premiers kilomètres. Silence dans les rangs, plus personne ne moufte ! Robin des Bois lâche son arc et cale à l’approche du château Lagrange. Les marathoniens pénètrent dans un nouveau domaine et tournent au pied de la bâtisse. La châtelaine sort sur le balcon pour saluer le défilé des manants. Ricanements. « Pas de bol, elle fait plutôt Camilla que Lady Di... » A l’ombre (rarissime) de ces enceintes, trois siècles d’exploitation viticole contemplent les coureurs. On y hume des vapeurs d’aisance, ça fleure la notabilité provinciale tout droit sortie d’un Chabrol.

Reflexe de survie

Alerte, le mythique « mur des trente », redouté par tous les marathoniens, s’annonce avec... dix kilomètres d’avance. Déjà sur la jante, le reporter évite le mouton-rothschild : comme un réflexe de survie, peur du mal au crâne, sans doute... Un peu plus loin, un chanteur exécute Manu Chao. Les tables de massage font le plein et concurrencent les stands de dégustation. Quelques ambulances se frayent un passage. A mesure qu’il ralentit, le coureur commence à percevoir des « Allez, Renaud ! Courage, Renaud ! » qui fusent de la foule. Des connaissances ? Des admirateurs (trices) ? Mieux encore, des lecteurs ? C’est ça, des lecteurs... de ce drôle de dossard dont le mystère est enfin résolu : si le nom de famille y figure en tout petit et le prénom en énorme, c’est qu’il peut servir d’ultime bouée de sauvetage au coureur en perdition.

Charitables, les organisateurs ont pensé à tout. Insuffisant, toutefois, pour empêcher le naufragé du bitume de s’abandonner à la marche, au pied de la côte qui mène à Saint-Estèphe. Au sommet, une flopée de châteaux aux noms mythiques. Le phélan-ségur fait table comble. Un des hôtes harponne le coureur : « C’est le meilleur, il est concentré en bouche, sentez-moi ces fruits rouges ! » C’est vrai qu’il ravive les papilles. Mais il ne peut plus rien pour les chevilles. Pour les derniers kilomètres, la joyeuse procession des débuts s’est transformée en armée d’éclopés en déroute. Le maquillage bleu de deux gros Schtroumpfs dégouline. Un jardinier arrose machinalement les coureurs en répétant : « C’est le huitième Médoc que je fais, c’est le plus dur, c’est le plus dur... » Tout le monde marche. En désordre.

Médaille et bouteille

A cinq cents mètres de l’arrivée, il est temps de se remettre en état pour récupérer sa descendance qui attend papa, méchamment en retard, comme toujours, pour finir la course à ses côtés. L’insolente pique un sprint, coiffe son géniteur au poteau, et se voit remettre la médaille. Pour se consoler, papa hérite d’une bouteille de haut-médoc, une de plus, un château-barateau 2002. Il constate le triste état de ses pieds, dont celui avec lequel il écrit. Mais réussit quand même à se baisser pour ramasser un tract qui vante les mérites d’un prochain marathon des vins d’Alsace. Garçon, la même chose !

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