Non, l’épileptique n’est pas interdit de sport
Publié le dimanche 14 novembre 2004 à 16h06min
Atteinte par le mal, Chantal Dällenbach (42 ans), 11 fois championne de Suisse de marathon, 18 fois championne de France, nous parle du combat qui a fait d’elle une athlète comme les autres.
Les faits
Souffrir d’épilepsie équivaut-il à être privé à jamais de sport ? « Non ! » répond la cycliste française Marion Clignet, aux 161 victoires, dont six couronnes mondiales. « Non ! » répond Chantal Dällenbach, 11 fois championne de Suisse de marathon. Ces deux athlètes exceptionnelles, atteintes par le mal, apporteront leur témoignage aujourd’hui au Musée olympique, à Lausanne, où un débat public réunira différentes instances médicales et sportives, à l’occasion de la Journée nationale de l’épilepsie.
La vie de Chantal Dällenbach chavire en 1992, à l’île de la Réunion, sa terre natale. Une moto la renverse. C’est le trou noir, le coma. Au réveil, la jeune enseignante (Suissesse par mariage) n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a subi un important traumatisme cranio-cérébral. Ses mouvements les plus élémentaires, comme la marche, sont hésitants. Chantal vacille. Elle n’a plus d’équilibre, ou si peu. Un sacré handicap pour une athlète, pas encore de haut niveau à cette époque, mais qui faisait déjà bonne figure dans les courses pédestres d’endurance. Le pire est encore à venir, mais Chantal ne le sait pas.
« Je faisais une dépression post-traumatique. J’étais complètement apathique, explique-t-elle avec quelques délicieuses intonations qui fleurent bon les îles. Je n’avais plus envie de rien, n’étais plus capable de prendre une décision, comme si cet accident m’avait projetée dans l’enfance. (Elle rigole.) Dans le fond, cet état bizarre, un peu hors du réel, ne me paraissait pas si désagréable. Mais pour mon entourage, c’était une autre histoire... »
L’entourage, c’est son mari, Alain Dällenbach, coureur cycliste, ainsi que ses deux enfants : une fille (Anaïs, aujourd’hui âgée de 16 ans) et un garçon (Alexandre, 13 ans).
Première crise d’épilepsie
Une complication survient, qui va bouleverser la vie de Chantal : une crise d’épilepsie, la première d’une longue série. L’incident est mal vécu par ses proches. Ils sont choqués, mais l’intéressée ne se rend compte de rien. Une fois encore, c’est le trou noir.
« Cet événement est survenu pendant une alerte rouge sur l’île de la Réunion, précise-t- elle. Un cyclone était annoncé. Tous les gens étaient confinés dans leur maison. Mon mari a tout de même réussi à me faire transporter à l’hôpital en pleine tempête. »
D’autres crises surviendront. Toujours sans laisser de traces dans l’esprit de Chantal. Alors on lui raconte. Elle est désespérée. La honte s’installe, la culpabilité, le mal-être aussi.
« Ces trous noirs... j’avais l’impression qu’on me volait des morceaux de ma vie », déplore la jeune femme.
Elle est envoyée en France dans un centre spécialisé.
« J’avais des problèmes neurologiques, je claudiquais, je peinais à m’exprimer. J’étais médicamentée, malheureuse. Mes cheveux tombaient. Je me retrouvais réduite à l’état de zombie... »
La course à pied en guise de thérapie
Sous l’effet des médicaments, les crises diminuent, mais elles perdurent. En désespoir de cause, son père et son mari emmènent Chantal au stade, là où elle éprouvait tant de plaisir à courir lorsqu’elle était enfant. Une sacrée intuition ! Car l’idée se révélera extraordinaire, salvatrice.
« D’abord, j’essayais maladroitement de suivre les lignes, relève Chantal. Je n’effectuais que deux ou trois tours de piste, la vision brouillée, le pas hésitant. Au fil des sorties, je gagnais en assurance, en résistance. Je courais de plus en plus longtemps. Et plus je courais, plus mes crises s’espaçaient et mieux je parlais. Plus tard, je me suis tournée vers d’autres formes de thérapie, entourée par mon mari et quelques médecins. Je me suis mise à travailler ma respiration, à écouter mon corps. Ainsi, je sentais les signes annonciateurs d’une crise. Je ne me crispais plus. Elles diminuaient d’intensité et de fréquence. »
A défaut d’être maîtrisé, le mal devient supportable. Au fil du temps, Chantal progresse, s’aligne dans des compétitions internationales qu’elle finit par remporter. Subsiste le plus dur, le regard des autres, les préjugés, la honte, quand survient une crise inopinée. L’épilepsie, Dieu sait pourquoi, est encore considérée comme un mal mystérieux, effrayant.
Fini d’esquiver le problème
« D’abord, j’esquivais ce sujet difficile. Il m’est arrivé de renoncer à des stages de sélection nationale par crainte d’y subir une crise », se souvient Chantal.
Assez !... décide-t-elle un jour. Le sourire de ce petit bout de femme cache une volonté admirable. Cette même volonté lui permet de glaner titres et victoires en compétition. Car à force de pratiquer la course à pied qui se voulait d’abord une thérapie, Chantal est devenue une star du marathon. Alors, finies la dissimulation, la honte. La championne décide d’assumer son mal. Elle se met à en parler ouvertement. Tout le monde convient, finalement, qu’elle est une athlète internationale comme les autres. Mieux, une des meilleures.
« Je me suis dit : tu as un problème, poursuit-elle. Tu ne peux l’éliminer, alors tu dois vivre avec. Tu es maître de ton corps. Ce n’est pas à lui d’être maître de toi. Alors, trouve une solution. » On connaît la suite...
Cet après-midi, Chantal Dällenbach viendra témoigner au Musée olympique, à Lausanne. Elle dira - preuve vivante - que, non, l’épilepsie ne signifie pas interdiction de pratiquer le sport. D’autres athlètes et des scientifiques prendront la parole sur le même thème. « Si mon expérience peut aider, ne serait-ce qu’un seul épileptique, c’est gagné ! » dit Chantal d’une voix douce.
Respect, championne !
Utile |
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Aujourd’hui samedi de 9h30 à 12h30 : conférence-débat publique sur le thème « Sport et épilepsie » au Musée olympique, quai d’Ouchy, à Lausanne Entrée libre. Info sur l’épilepsie : www.epi-eclipse.ch |
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