Marathon après marathon : Quand la passion devient fardeau mental
Publié le vendredi 17 octobre 2025 à 09h55min
Une étude scientifique récente révèle les effets psychologiques méconnus de la course multiple sur marathon. Entre épuisement mental, identité fragilisée et dépendance à la performance, les chercheurs lèvent le voile sur l’envers du décor du « multi-marathonien ».
L’envers psychologique de la performance
Une équipe internationale de chercheurs vient de publier, dans la revue Acta Psychologica, une étude intitulée « Miles and Mindset : The Psychological Toll of Multi-Marathoning ». Conduite auprès de plus de 300 coureurs ayant terminé au moins dix marathons en cinq ans, elle documente pour la première fois de façon scientifique les conséquences mentales de cette pratique extrême. Alors que la communauté des « serial runners » célèbre la résilience et la discipline, les résultats montrent une réalité plus nuancée : au-delà d’un certain seuil, la répétition des marathons peut générer une fatigue psychique durable, altérer le bien-être émotionnel et fragiliser l’équilibre identitaire du coureur.
Les marathoniens multiples : un profil obsessionnel ?
Les chercheurs ont établi un portrait type du « multi-marathonien ». Majoritairement âgés de 35 à 55 ans, ces coureurs présentent des traits de personnalité marqués par un fort perfectionnisme et une quête de contrôle. Plus de 60% affirment se sentir « incomplets » en dehors des périodes de préparation. Cette dépendance à la planification sportive s’accompagne d’une vigilance accrue, d’un besoin de validation externe, mais aussi d’une tendance à minimiser la fatigue physique. L’étude parle d’un profil « dopé au sentiment d’accomplissement », dont la motivation devient progressivement une exigence identitaire plutôt qu’un plaisir sportif.
L’équilibre émotionnel mis à l’épreuve
Les résultats montrent que les coureurs répétant les marathons plusieurs fois par an affichent des scores de bien-être émotionnel inférieurs à la moyenne des athlètes amateurs. Le cortisol, indicateur biologique du stress, reste élevé plusieurs semaines après la course. Plus surprenant encore : un tiers des participants rapportent des symptômes proches d’un épuisement professionnel, irritabilité, perte d’intérêt, sommeil perturbé, mais liés à la pratique sportive. Les chercheurs évoquent un véritable « burnout du coureur », comparable à celui observé dans certaines professions à haute responsabilité.
L’illusion du contrôle et la peur du ralentissement
Derrière cette suractivité se cache souvent une peur sous-jacente du vide. Les marathoniens interrogés décrivent une inquiétude face à l’idée d’arrêter : peur de grossir, de « perdre leur mental », ou simplement d’être perçus comme « moins forts ». L’étude souligne que cette peur est rarement consciente mais associée à un trouble du rapport au repos, le corps réclame une pause, l’esprit refuse. Les chercheurs parlent d’une « illusion de contrôle », typique des athlètes de fond, où la répétition devient stratégie d’évitement du stress personnel ou professionnel.
Entre dépassement et auto-destruction silencieuse
L’entraînement intensif lui-même agit comme un anesthésiant psychique. L’étude montre que beaucoup de coureurs utilisent la douleur et l’effort comme mécanismes de régulation émotionnelle. Ce phénomène, appelé « coping par surcharge », peut être bénéfique à court terme, car il procure un sentiment de maîtrise, mais destructeur sur la durée. Plusieurs témoignages analysés révèlent que la course devient une « identité de substitution », une manière d’exister socialement à travers les chronos, les médailles et les performances accumulées.
Les risques cognitifs d’une fatigue chronique
Au-delà du stress émotionnel, les chercheurs alertent sur un impact cognitif mesurable. Les participants ayant couru plus de quinze marathons en trois ans montrent une baisse significative de la concentration et de la mémoire de travail. Ce déclin, léger mais constant, serait lié à la privation de sommeil, à l’inflammation systémique post-effort et à une activation prolongée des circuits de stress cérébral. À terme, ces facteurs pourraient altérer les capacités décisionnelles, notamment dans le cadre professionnel.
La vulnérabilité identitaire du coureur d’endurance
Selon l’étude, l’identification excessive à la performance crée une fragilité psychologique. 42% des répondants disent ressentir une « perte de repère » lorsqu’ils ne peuvent pas s’entraîner, en raison d’une blessure ou d’un imprévu. Certains comparent cette situation à un deuil temporaire. L’équipe de chercheurs propose le terme « syndrome du coureur absent », une forme de désorientation existentielle qui s’estompe seulement après une réévaluation personnelle du rapport à la course.
La spirale silencieuse : quand le plaisir s’efface
Au fil des années, la passion sportive peut se transformer en routine sans joie. C’est l’un des constats les plus marquants du rapport : les coureurs réguliers affirment ressentir de moins en moins de plaisir à chaque nouvel événement, même s’ils battent leurs records. L’expérience devient ritualisée, marquée par la contrainte plutôt que par la liberté. Les chercheurs soulignent que cette perte d’émotion anticipatrice est un marqueur typique d’un processus de détachement affectif, symptôme central du surmenage psychologique.
Des signes précoces à reconnaître
L’étude conclut que prévenir ces dérives passe d’abord par la reconnaissance des signaux d’alerte : irritabilité, baisse d’enthousiasme, blessures répétées, et surtout la culpabilité à se reposer. Le rapport invite les encadrants, coachs et clubs à intégrer une dimension psychologique explicite dans les programmes d’accompagnement. Redéfinir la performance comme un équilibre global, incluant récupération mentale et réseau social, serait la première étape vers une pratique durable.
Réapprendre à courir pour soi
Enfin, les auteurs plaident pour une approche plus consciente de la course longue, recentrée sur le plaisir intrinsèque. Ils citent des pratiques correctrices comme la méditation en mouvement, la variation des formats (« trail », relais), et la fixation d’objectifs qualitatifs plutôt que quantitatifs. Courir plus lentement, moins souvent, mais plus pleinement : voilà la leçon inattendue de cette étude, qui remet l’humain au cœur du marathon.
L’endurance du mental, pas sa fracture
Le marathon reste une école d’endurance et de dépassement. Mais, comme le rappellent les chercheurs, « ce n’est pas l’accumulation qui forge le mental, c’est la qualité du lien entre corps et esprit ». « Miles and Mindset » n’invite pas à courir moins, mais à courir mieux, en prenant en compte les dimensions invisibles de la performance : la santé mentale, la joie du mouvement, et la capacité à s’arrêter quand le corps le réclame. Une vérité essentielle pour tous ceux qui, un jour, ont rêvé de courir encore… sans se perdre en route.
Accéder à l’étude : Miles and mindset : The psychological toll of multi-marathoning
Voir en ligne : Marathons
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