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Dick Fosbury : Un « flop » gagnant


Publié le mardi 14 août 2007 à 11h40min

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Une rencontre avec Dick Fosbury se mérite. Le périple qui mène à son Idaho désertique et montagneux est à la dimension de l’homme qui révolutionna le saut en hauteur. Pourtant, à 60 ans, l’ancien champion olympique n’a rien d’une star capricieuse confite dans une gloire poussiéreuse.




Il porte même magnifiquement son 1,95 m et arbore la mine radieuse des adeptes du grand air. Cet été, l’ingénieur en génie civil est simplement débordé. Comme chaque été, dans cet Etat du Nord-Ouest américain, la société qu’il dirige rapièce les éléments d’un paysage de western asphyxié par la neige et le gel une partie de l’année. A la terrasse d’un coffee shop, l’inventeur de la technique de saut en hauteur universellement adoptée prend tout de même le temps de jurer avoir marqué l’histoire de l’athlétisme malgré lui. "Toute cette histoire n’est qu’un accident, avance-t-il. J’aimais sauter mais je ne parvenais pas à franchir des barres élevées autrement que sur le dos". Ce "malentendu" qui l’a rendu mondialement célèbre s’est enclenché en 1963. Il avait 16 ans quand l’entraîneur d’athlétisme de son lycée l’a sommé de renoncer à l’antique ciseau au profit du rouleau ventral. "J’étais le seul à faire encore cela, et je me défendais plutôt bien, mais le coach m’en a expliqué la limite. Le ciseau obligeait à placer le centre de gravité trop haut par rapport à la barre". Fosbury obtempère... et régresse. Au comble de la frustration, il décide, dans un bus l’emmenant à une compétition, de ne plus en faire qu’à sa tête. "A toi de voir", soupire l’entraîneur. Après sa course d’élan, il se présente dos à la barre et l’enroule. Ce jour-là, il améliore son record personnel de 15 centimètres, et répète la performance la semaine suivante. Le coach y perd son latin. La technique apparemment inédite attire l’attention de quelques photographes qui légendent : "Le sauteur en hauteur le plus fainéant du monde".

Pressé par les journalistes locaux qui n’arrivent pas à mettre en mots son style, Dick le baptise "Fosbury flop". "Autant par goût pour l’allitération que par autodérision, explique-t-il. Et parce qu’un journaliste avait décrit mes sauts comme ceux d’un poisson bondissant hors de l’eau." En terminale, son "flop" le hisse à 2,01 m et lui vaut une bourse universitaire partielle. Dans les facs américaines, le sport est affaire d’Etat. Bernie Wagner, l’entraîneur d’Oregon State University, qui n’a que faire des histrions, questionne longuement Fosbury sur son approche baroque du saut en hauteur. Intrigué par ce phénomène à la motivation indéniable, il propose un compromis. "Il s’est montré vraiment intelligent, salue Dick Fosbury. Il se donnait deux ans pour m’amener à niveau en rouleau ventral, tout en m’autorisant à sauter comme bon me semblait en compétition. Parallèlement, il étudiait les vidéos de mes sauts en dorsal pour essayer de les améliorer".
"Fais comme tu le sens et oublie tout le reste", a conclu Mr Wagner, au bout de quelques mois, vaincu par les résultats de l’athlète entêté. La carrière de Fosbury sur les sautoirs a pourtant failli tourner court. Etudiant peu assidu, mis à l’épreuve par l’administration universitaire, il frise l’exclusion, et bien pire. Pour envoyer des renforts au Vietnam, le gouvernement fédéral n’hésite pas à priver les mauvais élèves du sursis de deux ans consenti aux étudiants. Fin décembre 1967, le facétieux sauteur en hauteur est convoqué par les autorités militaires pour une visite médicale. Il n’en mène pas large. Durant l’entretien, il signale un accident survenu à l’adolescence au cours d’une séance de travaux agricoles. Circonspects, mais peu enclins à imposer au gouvernement l’acquittement de pensions d’invalidité, les médecins militaires ordonnent une batterie d’examens complémentaires qui traîne en longueur. Une radiographie révèle chez Fosbury une providentielle et insoupçonnée malformation congénitale de la colonne vertébrale. Il est finalement réformé à la mi-juin 1968. Juste à temps pour participer aux sélections olympiques en vue des Jeux de Mexico.

Pour ces premiers JO en altitude (2300 m), les Américains organisent deux séries de leurs impitoyables "trials". Un premier à Los Angeles, pour le public, un autre à Lake Tahoe. A l’issue de dix semaines de stage, sur un stade construit en altitude pour l’occasion, Dick Fosbury figure, comme il se doit, dans le "top 3" des sauteurs en hauteur avec Edward Caruthers et Reynaldo Brown. "Et j’ai gagné l’or olympique", conclut-il, incrédule, les paumes tournées vers le ciel. Avec un bond de 2,24 m, le grand Dick établit un nouveau record olympique et coiffe Caruthers (2,22 m). Mais son audace dérange. La faculté glose sur les prétendus dangers physiologiques du "flop". Payton Jordan, l’entraîneur en chef américain, claironne que la généralisation de cette technique risque de "détruire toute une génération de sauteurs". "C’est ainsi que je sautais le plus haut", plaide Fosbury, rappelant que "les perchistes sont toujours retombés sur le dos de bien plus haut". Si le "flop" a rapidement conquis tous les sautoirs du monde, c’est parce qu’il est "naturel", assure-t-il. "Avec ou sans moi, il serait né tôt ou tard". Une photo retrouvée par un journaliste à la fin des années 1960 en atteste : Bruce Quande, un anonyme originaire du Montana, y a eu recours dès 1963 dans une compétition scolaire. Fosbury raconte avoir vu en 1965, lors d’une réunion d’athlétisme à Vancouver, une Canadienne de 14 ans, Deborah Brill (5 ème des JO de Los Angeles en 1984) "sauter spontanément sur le dos".

"En faisant découvrir ce style au monde à Mexico, j’ai simplement eu le privilège de lui donner mon nom", dit Dick Fosbury. Avant d’être rattrapé par le quotidien... Renvoyé de son école d’ingénieurs peu après les JO pour manque de résultats, il "s’égare" (signe de l’époque) "sur la voie de la sociologie, de la philosophie et des religions orientales". L’administration universitaire finit par négocier sa réadmission dans le cursus du génie civil contre son renoncement au sport d’élite. Diplômé en mars 1972, il n’a pu retrouver un niveau suffisant pour participer aux Jeux de Munich. Chaque été, il anime un stage d’une semaine pour des jeunes athlètes qui ignorent presque tout de lui. Pour le plaisir. Il prédit que le record du monde du Cubain Javier Sotomayor (2,45 m) a encore de beaux jours devant lui, car "les garçons capables de le menacer gagnent bien mieux leur vie sur les parquets de la NBA".


Voir en ligne : Le Monde

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