L’avantage de courir à la corde

Lorsque les sprinters olympiques descendront sur la piste de Pékin cet été, ce n’est peut-être pas le plus rapide qui remportera l’or. La raison ? Le pistolet de départ donne aux athlètes des couloirs intérieurs, plus proches du starter, un avantage injuste à la sortie des starting-blocks. Leur temps de réaction est plus court, car le coup de feu est plus fort et ils l’entendent plus tôt que les coureurs placés à l’extérieur. Et bien que les instances dirigeantes soient au courant de ce problème, elles n’ont nullement l’intention d’y remédier avant les Jeux de cet été.

Les responsables de l’athlétisme savent depuis longtemps que les coureurs placés dans les couloirs extérieurs entendent le coup de départ plus tard que ceux qui se trouvent à la corde. Cette différence est particulièrement importante dans des courses comme le 400 m, où les positions de départ sont décalées. Pour corriger cette injustice, nombre de grandes compétitions, dont les JO, transmettent le coup de départ par des haut-parleurs situés derrière chaque coureur, de façon à ce que chacun entende le signal exactement au même moment. Dans la plupart des cas, le pistolet est silencieux et ne sert qu’à déclencher les haut-parleurs. Néanmoins, aux Jeux olympiques, on continue à utiliser un "pistolet bruyant" en plus des haut-parleurs.

Or, si on emploie un pistolet de départ traditionnel, le système de haut-parleurs devient inutile. Aux JO d’Atlanta en 1996 et d’Athènes en 2004, les coureurs placés dans les couloirs extérieurs lors des courses en position décalée furent plus lents à sortir des blocks que ceux qui se trouvaient à la corde. "Le retard enregistré pour chaque couloir correspondait exactement à celui que l’on attendrait si les coureurs réagissaient uniquement au coup de feu", explique Jesus Dapena, de l’université de l’Indiana, à Bloomington, qui étudie la question depuis trois ans. D’après les recherches de Dapena, les coureurs du huitième couloir partaient en moyenne 150 millisecondes plus tard que ceux du premier couloir. Un tel décalage se traduit facilement par un mètre d’écart sur la ligne d’arrivée, ce qui peut facilement faire la différence entre l’argent et l’or.

Le volume du coup de départ constitue lui aussi un problème. David Collins, de l’université de l’Alberta, à Edmonton (Canada), et ses collègues ont constaté que les coureurs entraînés comme les volontaires non entraînés sortaient des starting-blocks environ 18 millisecondes plus tôt quand le signal était de 120 décibels que quand il était de 80 décibels. Un signal plus fort était également plus susceptible de provoquer un réflexe de sursaut, qui améliorait encore le temps de réaction de 18 millisecondes. Les coureurs des couloirs intérieurs seraient donc à nouveau avantagés, d’autant plus que les pistolets de départ standard atteignent les 180 décibels.

"Les dirigeants olympiques savent bien que les athlètes courant à l’extérieur prennent de moins bons départs", affirme Imre Matrahazi, directeur technique auprès de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), basée à Monaco. L’IAAF met au point de nouvelles normes qui remédieront au problème, mais ne voit pas d’urgence à procéder à des changements avant les Jeux de Pékin. Peter Huerzeler, qui a récemment mis fin à sa arrière comme responsable du chronométrage athlétique chez Swiss Timing, le consortium de sociétés qui s’occupe des départs et du chronométrage aux Jeux olympiques, jette la pierre aux coureurs : "Ce sont eux qui n’écoutent pas le départ donné par les haut-parleurs."