Course à pied : entre passion et risques, la voix d’Ingrid Kristiansen sur les tendances actuelles
Publié le mardi 29 juillet 2025 à 08h38min
La course à pied connaît une popularité croissante, portée par l’émergence de nouveaux profils de coureurs et une multiplication des marathons à travers le monde. Si l’accessibilité de cette discipline en fait un sport universel, la légende norvégienne Ingrid Kristiansen alerte sur certaines dérives contemporaines. Santé, prévention, plaisir et longévité sportive : état des lieux nourri par l’expertise et l’expérience de l’une des plus grandes athlètes de fond, au regard des enjeux actuels.
Les nouveaux visages de la course à pied
Courir n’a jamais été aussi tendance. Des millions d’adeptes arpentent les rues, les parcs et les chemins, équipés de textiles techniques et connectés à leur performance. Au fil des années, les records s’enchaînent, les participants se multiplient et la course à pied s’impose comme un mode de vie. Pourtant, cette massification amène son lot de questionnements, notamment sur les dérives potentielles qui menacent la santé des pratiquants. Bien plus qu’un palmarès exceptionnel, la parole d’Ingrid Kristiansen, ancienne championne du monde et figure majeure du marathon, devient précieuse pour repenser la manière d’aborder ce sport dans la durée.
Ingrid Kristiansen : parcours d’une pionnière
Née en 1956 en Norvège, Ingrid Kristiansen s’est d’abord illustrée en ski de fond avant de basculer vers l’athlétisme à haut niveau. Son ascension fut fulgurante : dès les années 1980, elle domine alors toutes les disciplines majeures du fond, que ce soit sur piste, en cross ou sur route. Elle remporte les marathons de Chicago, Houston, Boston (deux fois chacun) et dresse un palmarès inégalé à Londres (quatre victoires et un record du monde en 1985, avec 2:21:06, qui tiendra treize ans). Première femme à descendre sous les 31 minutes sur 10 000 m, Kristiansen a aussi marqué les esprits par la polyvalence de ses succès. Après avoir mis fin à sa carrière en 1993, elle se consacre à la préparation mentale et physique d’athlètes de tous horizons, tout en prônant un rapport sain, joyeux et durable à la pratique sportive.
Une démocratisation qui n’est pas sans risques
Dans un entretien paru sur VG ce 27 juillet 2025, Ingrid Kristiansen observe avec un mélange d’admiration et de perplexité l’évolution récente du monde du running. Si elle se réjouit de voir autant de personnes s’approprier la course à pied, elle alerte sur la surenchère autour du marathon et de la performance. Selon elle, beaucoup de coureurs amateurs n’écoutent pas assez leur corps, s’imposent des charges d’entraînement exigeantes et ignorent souvent la nécessité du repos et de la modulation d’intensité. Cette tendance à l’excès, attisée par les réseaux sociaux et la quête du dépassement, peut générer des blessures de surmenage, une fatigue chronique voire une dégradation du plaisir initial. L’apparition de pathologies spécifiques au coureur moderne, telles que les troubles tendineux ou les fractures de fatigue, témoigne du besoin d’une approche plus raisonnée.
« J’espère juste que ce qui motive ces gens, ce sont les bienfaits pour la santé et la joie, et non pas de belles photos Instagram ou autre. Je ne sais pas, mais j’ai l’impression que beaucoup sont motivés par le désir d’être connus. »
Kristiansen souligne que la mode du « toujours plus », plus de kilomètres, plus de compétitions, plus de gadgets, fait oublier la dimension fondamentale du jeu, de l’écoute de soi et de la variation d’intensité. Elle regrette que certains négligent la progressivité, élément clé pour éviter les blessures, et recommande une alternance entre activités pour préserver la santé musculosquelettique et cardiovasculaire (elle-même pratiquant le ski de fond en complément des longues sorties d’endurance afin de limiter les impacts nocifs).
« C’est tellement stupide que je n’ai pas de mots. Ce n’est pas sain. Ils obtiennent des likes pour avoir couru 80 kilomètres en une journée, mais finissent par être blessés à vie. Ils ne se nourrissent pas suffisamment et épuisent leurs réserves. C’est loin d’être sain. »
De la motivation au découragement, quand la santé trinque
L’envers de cette dynamique peut être brutal. Les blessures abondent : tendinites, périostites, syndrome de l’essuie-glace, fractures de fatigue. Trop souvent, l’enthousiasme initial s’effrite face à la répétition d’incidents médicaux, au point d’aboutir à des arrêts précoces de la pratique sportive, voire à un rejet définitif. Par ailleurs, l’épuisement mental, parfois minimisé, émerge au fil de préparations successives sans pause ni prise de distance. Ingrid Kristiansen met en garde contre la tentation de l’ultra-performance et rappelle que pour la majorité des coureurs, la santé doit primer sur le chronomètre.
« Je ne peux pas demander à ces jeunes d’arrêter. Ils doivent courir à mort avant de comprendre. Courir peut devenir compulsif. S’ils n’atteignent pas leur objectif un jour, ils sombrent mentalement. C’est très malsain. Cette génération n’écoute pas les experts, mais les influenceurs sans aucun poids professionnel »
Aux problématiques physiques s’ajoutent celles de la motivation et du plaisir : à trop viser la performance ou la validation sociale, on peut perdre le goût de courir tout simplement pour soi. À moyen terme, cet état d’esprit favorise l’abandon. Par ailleurs, l’anticipation de la blessure ou le stress de la contre-performance représentent des facteurs de démotivation qu’il ne faut pas sous-estimer.
Retrouver du sens, varier et progresser durablement
Loin du fatalisme, Kristiansen invite à recentrer la pratique sur des valeurs simples et accessibles. Première exigence : « écouter son corps » et accepter que la progression se fasse par étapes. Le respect des signaux d’alerte corporels, la douceur dans l’augmentation des charges et la diversité des séances sont essentiels. La championne norvégienne recommande également la pluridisciplinarité, notamment les sports portés comme le ski de fond ou le vélo, pour limiter l’usure articulaire et renforcer la capacité aérobie sans trop d’impacts. Pour elle, le jeu, la convivialité et la régularité priment sur la dictature du chrono.
Du point de vue médical, des études récentes confirment que la variation de l’intensité et l’insertion de phases de récupération active permettent de minimiser les risques de blessures et d’optimiser la performance sur le long terme. Les plans d’entraînement doivent être adaptés à l’âge, au niveau d’expérience, au vécu médical et aux aléas de la vie quotidienne. Kristiansen insiste sur la nécessité de rester à l’écoute de ses sensations, d’intégrer des semaines de relâche et de miser sur le plaisir avant tout, en se fixant des objectifs réalistes et individualisés.
La course à pied doit rester une source de bien-être et de santé, non un facteur de stress ou de blessures. L’authenticité du geste, la joie de l’effort partagé et la capacité à s’émerveiller avant de vouloir battre des records sont au centre du message de l’ancienne marathonienne. C’est en respectant ces principes que la vague de la course à pied pourra continuer de faire du bien au plus grand nombre, et ce, durablement.
Voir en ligne : Marathons
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