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L’épreuve la plus farfelue de l’histoire des JO : retour sur le marathon des Jeux de Saint-Louis en 1904


Publié le mardi 2 septembre 2008 à 15h16min

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Bonjour, je m’appelle Albert Corey et peu d’entre vous connaissent mon nom… Même moi parfois je m’y perds, mon passé est flou, mon avenir quasi inconnu et pourtant la performance athlétique que j’ai réalisée lors des jeux Olympiques de Saint-Louis en 1904 est unique car elle a permis à la France de détenir un record olympique qui ne sera plus jamais battu jusqu’à la nuit des temps, mais nous en reparlerons à la fin de mon récit… Je vous avoue qu’à ce moment-là, je ne me sentais plus tout à fait Français et pas encore complètement Américain car j’allais être naturalisé quelques mois plus tard. Mais reprenons depuis le début afin que vous soyez avec moi les témoins de cette incroyable épreuve dont j’ai été l’un des principaux protagonistes.




Je suis arrivé sur le continent américain dès 1903, décidé à émigrer pour chercher fortune et tenter à mon tour ce rêve que l’on nous promettait dans un pays où tout était à construire et où l’avenir appartenait aux audacieux. De ce côté-là, pas de souci, car je suis un coureur de longue distance : un marathonien ! Je me suis inscrit dans le club du « Chicago Athletic Association » afin d’assouvir ma passion et de préparer les jeux Olympiques auxquels je me suis engagé à titre individuel. Eh oui, pour ces Jeux de Saint-Louis en 1904, ni la France ni la Grande-Bretagne n’ont envoyé de délégations, le voyage était beaucoup trop long (onze jours de bateau et quarante heures de chemin de fer…) et surtout trop cher ! Ces Jeux de Saint-Louis, quelles drôles d’épreuves ! Etalés sur cinq mois et couplés avec une Exposition destinée à commémorer le centenaire de l’achat de la Louisiane à la France * (1), les Jeux étaient initialement prévus à Chicago * (2), mais un groupe d’industriels fit pression (déjà !) pour les déplacer à Saint-Louis et les organiser en même temps que cette Exposition.

Une fois arrivés à Saint-Louis, vous n’avez qu’une envie : en repartir ! En effet, la ville comptait 600000 habitants, perdue au milieu des champs de coton, longeant le Mississippi, une chaleur étouffante nous écrasait tout au long de notre séjour, et la mentalité qui régnait ici était malsaine, je dirai même plus, nauséabonde… Cette région conservait encore les séquelles de la Guerre de Sécession et nous sentions bien qu’il y avait pour les Américains les Blancs et les autres… Ils ont d’ailleurs organisé en même temps que nos épreuves d’ignobles « Anthropological Days », c’est-à-dire des compétitions réservées à ceux qu’ils considéraient comme des sous-hommes ! Ils avaient parqué là des Ainus du Japon, des Indiens Yehuelche de Patagonie, des Pygmées d’Afrique centrale et des Philippins, ainsi que de nombreuses tribus indiennes d’Amérique du Nord… Ils ont même exhibé le légendaire chef Géronimo comme une bête curieuse ! Sur ce coup-là, j’étais encore fier d’être Français et notre guide à nous autres athlètes Pierre de Coubertin avait déclaré : « Cette mascarade outrageante se dépouillera naturellement de ses oripeaux lorsque ces Noirs, ces Rouges, ces Jaunes apprendront à courir, à sauter et à lancer et laisseront les Blancs derrière eux… ». Ah merci Monsieur le baron d’avoir fait alors entendre la voix de la France !

Mais trêve de digressions, je suis là pour vous conter ma course et rentrons maintenant dans les détails ! Nous voici réunis au départ de l’épreuve du marathon ce mardi 30 août 1904 à 15 heures et la chaleur dépasse les 30 degrés à l’ombre avec un taux d’humidité de 90 % ! Nous sommes trente-deux partants dont dix Grecs qui veulent venger leur honneur perdu suite au sacre du Luxembourgeois Michel Théato à Paris en 1900, succédant ainsi au Dieu vivant Spiridon Louys, vainqueur du premier marathon des Jeux modernes chez lui à Athènes en 1896 ! Avec eux, il n’y a presque que des Américains, mais vous le savez, je suis un combatif et je suis décidé à vendre chèrement ma peau… La curiosité, ce sont les deux Sud-Africains, Len Tau et Jan Mashiani, magnifiques athlètes de couleur, qui ont provisoirement abandonné un tournage où ils jouaient les figurants pour participer à notre épreuve. Et Félix ! Le Cubain Félix Carvajal : un phénomène celui-là ! Imaginez un petit bonhomme d’1,52 m, postier de son état chez lui à La Havane, et qui s’entraînait lors de ses tournées chaque jour… Et quelle ingéniosité ! Pour financer son voyage à Saint-Louis, il a organisé une quête, mais, manque de bol, en arrivant tout heureux à la Nouvelle-Orléans, il joue aux dés et perd sa petite fortune !

Bon l’essentiel est qu’il soit présent au départ, mais dans quel état ! Il se présente sur la ligne en chemise de nuit avec un pantalon et des chaussures de ville à gros talons… Le temps que des âmes charitables lui découpe son pantalon aux genoux, nous sommes déjà partis et notre Félix qui va trottiner à son rythme, haranguant la foule, en « faisant le spectacle » comme l’on aurait dit plus tard. Les choses sérieuses ont commencé : 40 kilomètres de routes défoncées avec de nombreuses collines et bien sûr pas de ravitaillement de prévu, seul un puits à mi-parcours si le cœur nous en dit… Le groupe de tête comprend les Américains Sam Mellor, Arthur Newton et Fred Lorz. Moi, j’ai décidé de faire ma course sans m’affoler, en comptant sur les défaillances qui ne vont pas manquer de survenir dans un tel contexte. Je chemine avec un autre Américain, Thomas Hicks, qui est né en Angleterre avant d’émigrer lui aussi et de terminer second du marathon de Boston quelques mois plus tôt ce qui lui a valu sa sélection pour les Jeux. Son style est sobre et économe, m’est avis que ce mec sera à surveiller de près ! Et Félix qui nous rejoint, quelle dégaine ! Et il s’arrête de temps en temps pour piquer une pomme sur un arbre et croquer des fruits verts, attention Félix ne bouffe pas n’importe quoi ! Mais bon, lui s’en fout et continue son exhibition…

Devant, le calvaire continue et les trois Ricains sont partis forts. Ne pas s’affoler, ne pas trop accélérer, tel est mon leitmotiv, cool mec respecte ton plan de course et advienne que pourra… J’ai vraiment chaud, l’air devient irrespirable avec toute cette poussière soulevée par les voitures qui suivent la course, si cela continue on ne terminera pas ce marathon maudit ! Nous sommes maintenant à mi-course. Ah nous entendons une clameur derrière nous, les Sud-Afs sont là, ils rappliquent dare-dare, mais putain que se passe-t-il ? Il y a truc qui les poursuit ! Un chien enragé ! Mais ils partent sur un mauvais chemin, les gars : le parcours c’est de l’autre côté ! Trop tard ils sont partis dans un petit bosquet… On ne les reverra plus d’ici l’arrivée et j’ai appris ensuite qu’ils ont fait un détour de plus de 3 kilomètres pour échapper au molosse ! Mais nous continuons avec Hicks et Félix et bientôt nous avons en ligne de mire les Ricains : je le savais, ils sont partis trop forts !
Ah, il y a Mellor qui coince méchamment, nous le reprenons, il est cuit…
Et puis Newton est repris aussi, reste Lorz qui n’a plus belle allure, mais il s’arrête, ce sont des crampes, il ne peut plus faire un pas ! Désolé mon pote, mais la course continue pour nous… Et ce sournois de Hicks qui démarre, je ne peux plus suivre son rythme, il va se cramer ou alors il est vraiment au-dessus du lot !

Pas d’affolement il reste qui avec moi : Félix ? Il est où celui-là ? Oh merde il est sur le bord de la route en train de « payer » tous les fruits vers qu’il a bouffé tout au long du parcours, on lui avait pourtant dit de ne pas se goinfrer ! Tant pis, je suis maintenant tout seul avec ce faux Anglais de Hicks en ligne de mire ; derrière, Félix et Newton vont terminer comme ils pourront et, après le désert, ou plutôt une tempête de sable… Quel est l’imbécile qui a autorisé les véhicules à suivre la course sur une telle piste ? Nous avons ce jour-là évité le drame de peu. En effet, le coureur de San Francisco William Garcia a été frappé d’hémorragie stomacale pour avoir ingurgité trop de poussière ! Il a été ramassé par un automobiliste suiveur qui par chance transportait à son bord le Dr Elbrecht, et le pauvre Garcia fut sauvé in extremis de la mort en arrivant à l’hôpital… Allez mon brave Albert accroche-toi, il reste un bon quart de la course et cela va se jouer entre Hicks et toi… Et il est en train de tituber ! Mais qu’est-ce qu’ils foutent devant : il y a deux suiveurs qui soutiennent Thomas Hicks par les aisselles ! Oh les mecs vous trichez là ! Et en plus ils lui font boire un truc : du brandy ! accompagné d’un blanc d’œuf… Et la seringue nom de Dieu, ils l’ont piqué, une injection de strychnine ! Et le voilà qui repart en détalant comme un lapin ! C’est quoi ce truc, un règlement américain ?

Je continue ou non ? Allons-y pour la gloriole puisque la course semble faussée d’avance… Eh ben, je vais quand même finir deuxième car derrière, j’ai fait le trou. Encore 3 kilomètres, et il est là, Hicks est juste là en haut de la dernière colline, il est cramé le mec, et les revoilà les deux apprentis sorciers avec leur seringue pourrie, ils lui font une autre injection ! C’est quoi ce traquenard ? Il va gagner, forcément qu’il va gagner chez lui avec ce qu’ils lui ont administré ! Bon et on pénètre dans le « Francis Field », le stade où se juge l’arrivée, il va savourer ce tricheur de Hicks… Oh merde ! C’est quoi encore ce délire… Il y a déjà un gugusse sur le podium avec la médaille d’or autour du cou et la fille du président Roosevelt qui le félicite… J’ai des hallucinations, pourtant je sens encore mes pieds sur la piste et Hicks qui franchit la ligne à la ramasse et s’écroule illico derrière ! Et le mec sur le podium c’est Fred Lorz ! Je ne rêve pas, on l’avait laissé allongé au bord de la route 15 kilomètres en arrière. Faudra que l’on m’explique ce tour de magie ! Après la seringue folle, le fantôme du podium, ce Lorz c’est Houdini réincarné… Et moi dans tout cela je finis à quelle place ? Derrière, je vois Newton et Félix qui arrivent, mon temps est de 3 heures 34 minutes et 52 secondes, vu les conditions pas folichon mais qu’importe !

Un officiel me rapproche du podium et je vois que le photographe est en train de briser en mille morceaux la plaque de verre de son appareil sur laquelle il avait immortalisé la médaille du « coureur invisible »… C’est la confusion la plus totale, le pauvre Hicks est transporté dans le vestiaire sans connaissance par quatre médecins qui vont tenter de le ranimer, pas étonnant vu ce qu’il a pris ! On m’a dit après qu’il était rentré chez lui en trolleybus quasi en somnambule ! Et pourtant il est champion olympique, c’est confirmé ! Incroyable ! Fred Lorz était bien raide quand on l’a dépassé et le gugusse il n’a rien trouvé de mieux à faire que de monter dans une voiture pour terminer la course, ils l’ont déposé à une encablure du stade et il a tranquillement fini le parcours au petit trot sous les acclamations du public, c’est écœurant un tel comportement, indigne d’un gentleman !

J’imagine que le baron De Coubertin doit fulminer dans son coin, aucun respect ces Américains : un qui se shoote, l’autre qui fait la course en bagnole… Du coup les amis je suis second, et oui médaille d’argent, moi l’illustre inconnu expatrié ! Et vous savez, mine de rien, que cette médaille est historique pour la France : en effet, grâce à ma breloque de seul Français engagé à ces Jeux, eh bien la France sera la seule nation au monde à avoir obtenu au moins une médaille à chacune des olympiades des Jeux modernes, soit depuis 1896… On dit merci qui ? Avouez les amis qu’elle est incroyable mon histoire, non ? * (3)

*(1) En effet, la Louisiane fut vendue par Napoléon Bonaparte aux Américains en 1803 pour 15 millions de dollars.
* (2) Le CIO avait désigné Chicago comme ville hôte des Jeux de 1904 lors de sa session à Paris en 1901.
* (3) Pour la petite histoire, Fred Lorz qui avait été suspendu à vie suite à sa tricherie, sera réhabilité en partie grâce à la sympathie dont il jouissait parmi ses concurrents et il courra à nouveau l’année suivante en s’imposant « à la régulière » au marathon de Boston ! Thomas Hicks lui devint champion du monde de Marathon puis arrêta sa carrière sportive pour devenir clown dans un cirque ! Quant à Albert Corey, héros de notre histoire, il disparut de la circulation et je n’ai retrouvé nulle trace de la suite de son destin …

* Par Mad Martigan


Voir en ligne : AgoraVox

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