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Les coulisses de la brillante école kényane


Publié le mercredi 16 mai 2007 à 20h18min

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Les coureurs originaires du Kénya excellent sur toute la planète. Quel est le secret de leur réussite ? Une visite au hameau kényan d’Iten, lieu de pèlerinage pour les athlètes en quête de résultats, apporte une série de réponses.




Avant même que le soleil du matin ne perce, les coureurs prennent possession des chemins de terre rouge. A un rythme tranquille, ils traversent le hameau kényan d’Iten, seuls, en petits groupes et parfois à plusieurs dizaines, comme des soldats à l’exercice. Les athlètes élancés, lestes, sont pour les villageois une apparition familière. Ils font partie de ce lieu dans la vallée du Rift, tout comme les taxibus bringuebalants qui contournent habilement les trous profonds dans le revêtement usé ou bien les femmes qui font cuire le maïs sur un petit feu de bois. Pourtant, ces coureurs aux luxueux vêtements de sport attirent l’attention quand ils passent dans la pénombre devant les étals du marché, laissent l’église et la mosquée derrière eux et disparaissent dans le paysage vert en pente où des moutons et des vaches se promènent parmi les huttes en torchis.

Ce site, à un jour et demi de route de la capitale Nairobi, doit son attrait au succès grandissant des coureurs kényans. Ils comptent parmi les meilleurs en athlétisme sur piste, ils excellent en course sur route et ils dominent à l’échelle mondiale dans les marathons (dernièrement, les Kényans ont remporté les marathons de Rotterdam, Boston, Paris, Utrecht et Turin). Il y a dorénavant tant de très bons coureurs kényans qu’ils sont connus plutôt en tant que groupe qu’en tant qu’individus.

Frère Colm O’Connell peut concevoir que les Occidentaux soient curieux de cette réussite. Arrivé d’Irlande il y a trente ans pour venir enseigner à Iten, il a pu vivre de près la transformation de l’ancienne colonie britannique en un pays doté des meilleurs coureurs du monde. Juste devant l’école où il entraîne ses élèves, un panneau de la circulation avertit du risque d’enfants qui courent, et non pas d’enfants qui traversent. Frère Colm, qui fait partie d’un ordre catholique irlandais, a connu et entraîné des dizaines de champions, dont Lornah Kiplagat. Il estime que, pendant la haute saison, près de trois cents athlètes professionnels viennent s’entraîner dans ce lieu, qui compte deux mille habitants et qui, selon lui, a délogé de son rôle pionnier la ville voisine d’Eldoret.

L’énigme du miracle kényan

Plus le hameau d’Iten produit de gagnants, plus il devient populaire, pense frère Colm. Dans la cantine de son école, il y a un mur des célébrités décoré de photos jaunies représentant des prestations dignes d’intérêt, mais d’autres honneurs sont réservés aux plus grands champions (Ibrahim Hussein, trois fois vainqueur du marathon de Boston, et Wilson Kipketer, trois fois champion du monde et détenteur du record du monde du 800 mètres). Ils ont leur arbre, planté en leur honneur, dans la cour de récréation. L’Irlandais qui a 58 ans a vu passer un cortège d’entraîneurs d’athlétisme et de scientifiques étrangers, à la recherche d’explications de ce miracle kényan. Selon lui, on exagère toujours un seul et même facteur : l’avantage génétique dont bénéficieraient ces coureurs qui ont une morphologie légère et le corps sec.

"C’est difficile d’affirmer ça. Les gènes s’expriment dans le style de vie, la morphologie, la mentalité et bien d’autres choses. Il y a eu des gens ici qui ont comparé la taille du mollet des Kényans à celle de coureurs blancs, et les globules rouges, et la capacité d’absorption d’oxygène. Jamais personne n’a pu, pour autant que je sache, réduire le phénomène à un seul facteur décisif". Selon Colm et l’écrivain américano-britannique Toby Tanser, auteur de Train Hard, Win Easy sur la domination des coureurs kényans, le succès actuel n’a rien de mystérieux. La course, ça paye, tout simplement. A Iten, un salaire mensuel représente en moyenne 50 euros. En une compétition en Europe et aux Etats-Unis, un coureur peut gagner plusieurs fois ce montant.

La course donne aux Kényans la possibilité d’une vie meilleure, qui leur permet de ne pas gaspiller leur talent. A la campagne, beaucoup de garçons sont prêts à investir du temps et des efforts dans une carrière d’athlétisme. Ils ont l’habitude de courir (il n’est pas rare que de jeunes enfants parcourent en marchant ou en courant de grandes distances chaque jour pour se rendre à l’école). On constate chaque jour à Iten que le travail physique ne fait pas peur aux Kényans. Après l’entraînement au petit matin ont lieu le plus souvent des séances de marche, vers 10 heures et vers 16 heures. Entre les entraînements, les athlètes retournent chaque fois dans leur chambre sobre pour manger et dormir. Ils ne s’entraînent pas seulement plus intensément que beaucoup de leurs rivaux occidentaux, ils ont aussi, d’après Toby Tanser, une grande faculté de récupération. "Ils s’entraînent intensivement et ils se reposent intensivement".

Une vallée de la course

Le choix de ce sport de haut niveau est facilité par l’industrie de la course qui a vu le jour au Kénya. Lorna Kiplagat évalue à 80 ou 100 le nombre d’entraîneurs en activité dans le domaine de l’athlétisme. Des fabricants de vêtements ont aussi ouvert des lieux d’entraînement pour leurs talents. D’après frère Colm, ils sont installés, pour une bonne part, dans la vallée du Rift, située dans les hauteurs, où le climat est favorable. J’ai choisi Iten parce l’endroit me rappelle ma terre natale et que l’altitude est idéale", dit Lornah Kiplagat. "Nous sommes ici à 2300 mètres. Il ne fait donc pas trop chaud pour s’entraîner, mais aussi pas froid comme un peu plus haut". La rareté de l’air à 2300 mètres a en outre l’avantage que le corps fabrique plus de globules rouges, ce qui permet aux athlètes qui descendent ensuite au niveau de la mer d’absorber plus d’oxygène et de courir plus vite.

La domination des Kényans n’est pas près de se terminer, étant donné que les facteurs qui contribuent à leur succès se renforcent mutuellement. Mais le Kénya n’est pas le seul pays d’Afrique à offrir des conditions géographiques favorables, et les Kényans ne sont pas les seuls à posséder la morphologie idéale et la volonté de se servir du sport pour progresser dans la vie. Alors pourquoi sont-ils justement ceux qui remportent les marathons partout dans le monde ? D’après frère Colm, leur succès repose sur une succession de hasards, qui ensemble ont donné naissance à la culture actuelle de la course. Après l’indépendance du Kénya, en 1963, le système scolaire britannique a été conservé. L’école secondaire est le plus souvent un pensionnat, dans lequel l’accent est mis sur le développement physique. Le talent des Kényans pour la course a ainsi été découvert plus tôt qu’ailleurs. Dans l’armée et dans la police également, le sport suscite un profond respect, ce qui a permis aux coureurs de développer, en échange d’un salaire fixe, leur talent.

"Il y avait donc un terrain fertile", estime Colm. "Quand, à la fin des années 1980, le sport a pu être exercé au Kénya aussi à titre professionnel, cela a provoqué une véritable explosion. Soudain, un athlète pouvait gagner facilement dix fois plus qu’un professeur. Il y a eu une forte émulation et le niveau n’a cessé de monter. Cela a donné aux jeunes de toutes nouvelles possibilités d’améliorer leur sort". A Iten, les coureurs vont continuer de dominer le paysage local, pense Lornah Kiplagat. Le calme rencontré lors de sa première visite a définitivement disparu. Désormais, le hameau bouillonne d’espoir à l’idée d’une vie meilleure. "Il y a peu de temps encore, les enfants étaient effrayés quand ils voyaient un Blanc. Maintenant, ils sont devenus presque insolents : ils courent avec eux et demandent parfois de l’argent en anglais".


Voir en ligne : Courrier International

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