Djhone-Doucouré : « On a nos petites habitudes »
Publié le lundi 27 août 2007 à 08h43min
Copains à la ville comme sur la piste, Ladji Doucouré, 24 ans, et Leslie Djhone, 26 ans, abordent les Mondiaux d’Osaka en "guerriers". Champion en titre du 110 m haies, blessé au mollet droit la saison passée, Ladji se sait attendu. En l’absence de Marc Raquil, Djhone est le seul Français à postuler à la finale sur 400 m. Les deux candidats à un podium racontent leur complicité.
Comment vous êtes-vous connus ?
Leslie Djhone : Quand j’étais cadet, j’entendais parler d’un petit jeune en minimes. On l’annonçait comme la future star de l’athlétisme français. On s’est rencontrés pour la première fois en 1999. Je l’ai félicité parce qu’il battait tous les records chez les jeunes, et je sentais que les miens allaient y passer. L’année d’après, il a d’ailleurs effacé tout ce que j’avais fait en cadets, sur la longueur, le 200 m... Je me disais : Il m’en veut, le petit ?"
Ladji Doucouré : Leslie, c’était les grands, la classe au-dessus. Je le regardais. Il m’a tiré vers le haut.
Depuis, vous avez coutume de faire chambre commune en compétition...
Djhone : Quand il est là, je suis plus serein. C’est long, trois semaines. En plus, les chambres sont parfois toutes petites : à Athènes, on était quasiment collés l’un à l’autre ! Mais on ne reste pas à se regarder dans le blanc des yeux, il y a plein de va-et-vient. Aux Mondiaux d’Helsinki, notre chambre était devenue la salle de réunion.
Doucouré : On a nos petites habitudes !... On allume tout en même temps : la musique, la télé, les jeux vidéo... Et on parle par-dessus. Si c’est trop calme, on a peur que la pression monte. Il faut se mettre dans la compétition au bon moment. Alors on fait autre chose, on déconne et on se décontracte.
Lequel dort le plus ?
Djhone : C’est moi. Y a pas photo.
Doucouré : Mais le matin, on se lève à peu près en même temps. On saute le petit déj’. Sauf quand l’un de nous deux doit courir : là, on s’adapte.
Lequel passe le plus de temps dans la salle de bains ?
Djhone (hésitant) : C’est kif-kif.
Doucouré : La douche, et on sort. On ne squatte pas la salle de bains, on laisse même la porte ouverte pour pouvoir se parler. Les toilettes par contre, c’est moi !
Djhone : Ouais, c’est lui. Quoique je suis pas mal non plus, la veille d’une compétition !
De quoi parlez-vous ensemble ?
Doucouré : De la compétition, des résultats des autres... Tout y passe. On peut disserter sur le 10000 m comme sur la perche ! En fait, on n’a pas besoin de beaucoup parler pour se comprendre, on est sur la même longueur d’onde. Je lui dis ce que j’ai ressenti par rapport à ses courses, lui fait de même pour moi. Je regarde la liste de départ de ses séries du 400 m. Comme aux Jeux d’Athènes, où c’était la guerre pour passer en finale. Je lui ai dit d’y aller. Il faut que je le pousse.
Djhone : C’est vrai. C’est bien d’avoir l’avis du coach, mais celui de Ladji m’importe aussi : il est athlète, il sait comment je pense. Et inversement. J’entre toujours en compétition avant lui, alors je lui dis comment est la chambre d’appel. A Athènes par exemple, on mettait cinq bonnes minutes pour l’atteindre et il fallait encore trois minutes pour arriver au stade et la pente était raide, interminable... C’est le genre de choses qu’il vaut mieux savoir pour ne pas arriver essoufflé sur la piste. On parle aussi des juges parce que certains sont plus chiants que d’autres à vous mesurer les pointes...
Vous avez tous deux été sérieusement blessés. Avez-vous connu le doute ?
Doucouré : Oui, de petits doutes... On n’a pas un contrat de trois ou cinq ans comme les footeux. Les sponsors ne suffisent pas. Notre gagne-pain, ce sont les meetings. Ça peut inciter certains athlètes à se charger pour revenir plus vite. On n’a jamais versé là-dedans, mais c’est une question délicate.
Djhone : Grâce à notre statut, on a la chance tous les deux de pouvoir s’en sortir, même blessés. Mais celui qui est vraiment à la limite, il peut vouloir un coup de pouce.
Doucouré : Comme Fouad Chouki (suspendu deux ans en 2003 à la suite d’un contrôle positif à l’EPO, ndlr) : pour avoir un poste dans sa ville, il fallait qu’il soit sélectionné en équipe de France. C’est ce qui pourrit notre sport. Quand tu vois ça, tu te dis que ça ne tourne pas rond.
Djhone : Ou un Kényan à qui l’on proposerait : "Tu te charges et, en échange, tu pourras nourrir tout ton village". Je peux comprendre qu’il se dise : "De toute façon, je vais mourir à 50 ans, donc autant que je mette ma famille à l’abri". Ce n’est pas que je cautionne, mais, humainement, que voulez-vous répondre à ça ? Ce n’est pas au Kényan que j’en veux, mais à ses fournisseurs, qui lui prennent les trois quarts de son argent.
Les affaires qui secouent le demi-fond risquent-elles de ternir l’image de tout l’athlétisme français ?
Djhone (ferme) : Il ne faut pas penser à l’image mais à nettoyer. S’il reste des brebis galeuses, il faut les attraper. Mais attention : ce n’est pas parce qu’il y a performance qu’il y a forcément dopage.
Vous connaissez bien les fondeurs français ?
Djhone : On les croise en championnat, on s’entend bien avec Baala ou Tahri. Un mec comme Florent Lacasse (contrôlé positif à la testostérone en juillet), c’est notre génération. J’ai pris une claque quand j’ai appris qu’il s’était fait attraper. Ce n’est pas quelqu’un de méchant...
Doucouré : On a trop pris l’habitude de croire que les dopés sont des gens malsains. Du coup, on tombe parfois de haut. Gatlin (champion olympique et du monde du 100 m, contrôlé positif à la testostérone en avril 2006) par exemple, c’était quelqu’un de gentil, qui disait toujours bonjour. On se disait : "Enfin un Américain sympa". Ce qui compte, c’est d’avoir confiance en soi, de savoir que tout est possible sans passer par la case dopage. Moi, j’ai vu Leslie réussir, ça m’a motivé. En 2005, j’ai gagné mon titre proprement, je sais que je peux le refaire. Ceux qui sont dopés peuvent réussir, mais ils n’auront jamais la même fierté que moi.
Djhone : Je suis prêt à diffuser sur internet mon suivi longitudinal, mes contrôles antidopage inopinés, comme le fait Ladji (membre du programme Athletes for Transparency, ndlr). Ce serait plus simple si on s’y mettait tous.
Votre copain Salim Sdiri a été blessé par un javelot en compétition. Comment l’avez-vous vécu ?
Djhone : J’étais devant ma télé. C’est un truc de fou. Voilà pourquoi, moi, je ne vais pas courir un vendredi 13 (l’accident a eu lieu le vendredi 13 juillet au meeting de Rome, ndlr).
Doucouré : J’étais le premier à rigoler de cette superstition. A Rome, on partageait la même chambre d’hôtel, Salim et moi. On se disait qu’on allait faire des perf’ pour ce vendredi 13. On a joué à la console et j’ai tout fait pour gagner 13-0. Et là, quand j’ai vu ça, j’avais l’air d’un con. Le soir, quand il est rentré de l’hôpital, j’ai veillé sur lui. Il a dormi un peu, moi pas ! Ce genre d’incident m’est déjà arrivé : plus jeune, j’avais lancé un javelot, il était tombé sur un perchiste. A plat, sur son épaule. Je n’ai plus jamais relancé. Depuis, je regarde toujours où sont les aires de lancers. Tout ça, il faut que ça change.
Voir en ligne : Le Journal du Dimanche
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