Faut-il mettre la fatigue sur le dos du cerveau ?
Publié le jeudi 7 avril 2005 à 13h23min
Sous prétexte de protéger l’organisme, le cerveau empêcherait le bon fonctionnement des muscles. Physiologiste, Guillaume Millet ébranle bien des certitudes.
La fatigue, voilà un sujet épuisant. La fatigue donne des nuits blanches aux chercheurs, elle les balade d’une science à l’autre, quelque part entre la physiologie et la psychologie avant, bien souvent, de les laisser sur les rotules.
Que la fatigue tremble : une armée de chercheurs s’est mis en tête de lui mener la vie dure. Parmi eux, Guillaume Millet. Ce Français de 36 ans est un adversaire de taille. Il est chercheur de pointe, mais aussi sportif de l’extrême, lui qui a participé au dernier Tour du Mont-Blanc. Professeur de physiologie à l’université de Saint-Etienne, Guillaume Millet a donné une conférence passionnante sur la fatigue et sur la récupération à l’institut des sciences du sport et de l’éducation physique (ISSEP) de Lausanne. Voilà qui ébranle bien des idées reçues.
Guillaume Millet, quelle est la limite à ne pas dépasser ?
Je ne suis pas sûr qu’elle existe. La preuve, c’est que certains athlètes vont tellement loin qu’ils tombent d’épuisement à l’arrivée des courses. Bien sûr, il est difficile de faire la part entre le réel épuisement et le côté « spectacle ». Je suis tenté de dire que le but d’un sportif est justement de dépasser cette limite.
Mais dans ce cas, l’organisme est en danger
A partir du moment où les règles sportives sont respectées, c’est-à-dire le code mondial antidopage, les risques de graves ennuis sont très faibles. Je ne pense pas qu’à court terme, le seul effort intense puisse provoquer un décès. Les morts sur les terrains de foot n’arrivent pas à la suite d’un effort spécialement intense. Le sport d’élite n’est pas forcément bon pour la santé, mais ce qui met en danger l’organisme, ce sont les nombreuses heures d’entraînement sur le long terme. Tim Noakes, un chercheur sud-africain, va même jusqu’à dire que la fatigue est uniquement due au cerveau. Sa théorie : le cerveau est le gouverneur central. Il reçoit des informations de la part de l’organisme et, afin de le protéger, lui intime l’ordre de ne pas aller trop loin. Il empêche, par exemple, l’activation trop intense des muscles, alors que, physiologiquement parlant, ils en seraient tout à fait capables.
Vous-même, adhérez-vous à cette théorie ?
Sans aller aussi loin que lui, je suis convaincu que la fatigue nerveuse, celle qui vient du cerveau, joue un rôle très important. De nombreuses études l’ont décelée, dont les nôtres. Par exemple, si l’on mesure la force maximale développée par les quadriceps, on constate qu’elle baisse entre le début et la fin d’un exercice, ce qui est normal. Ce qui est plus étonnant, c’est que si l’on mesure l’activité électrique du muscle, on se rend compte qu’il n’est pas à son maximum. Simplement, le cerveau n’arrive plus à lui donner l’ordre de le faire. C’est ce qu’on appelle la fatigue centrale.
Mais si l’organisme n’est pas vraiment menacé, c’est que le cerveau se trompe.
Si on suit Tim Noakes, on pourrait dire qu’il joue bien son rôle protecteur.
Le but du sportif est donc de ne pas l’écouter ?
C’est cela. Certains y arrivent mieux que d’autres. La preuve, c’est que deux personnes ayant les mêmes aptitudes physiques n’obtiennent pas forcément les mêmes résultats.
Alors, avec le dopage, on peut faire baisser cette fatigue nerveuse et aller plus loin
Oui. Le but des amphétamines, par exemple, est d’exciter le système nerveux.
D’un point de vue strictement physiologique, les amphétamines seraient donc la panacée puisqu’elles permettent de dominer le cerveau
Non, parce que dans ce cas, tous les barrages sont levés. On en arrive au décès sur les pentes du Ventoux de Tom Simpson en 1967, même s’il n’y avait peut-être pas que des amphétamines. Ce que je veux dire, c’est que sans drogue, et avec sa seule capacité mentale, un athlète n’atteint pas cette zone dangereuse. Sans oublier, bien sûr, que le dopage est indéfendable d’un point de vue éthique. Pas seulement, donc, pour les risques pour la santé.
Mais que se passe-t-il, physiologiquement, quand les limites sont dépassées ?
Ce peut être l’hypoglycémie qui ne rend pas spécialement intelligent, car les neurones ne consomment que du glucose. Mais si on perfuse tout de suite, il n’y a pas de séquelles. Dans les raids, les gars tombent aussi parfois de sommeil, ce qui n’est pas un problème sauf s’il fait très froid ou s’ils sont à cheval !
Vous accusez le cerveau d’être à l’origine de la fatigue, mais le coupable, n’est-ce pas l’acide lactique ? C’est bien cette substance qui, quand elle apparaît dans l’organisme, brûle les muscles et les empêche de bien fonctionner
Le milieu sportif l’a longtemps cru et continue à le croire. D’abord, dans « acide lactique », c’est plus « acide » que « lactique » qui est en cause. Mais même pour l’acidose, de plus en plus de données scientifiques le dédouanent. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas tout lui mettre sur le dos. L’acidose joue certainement un rôle beaucoup moins délétère qu’on n’a pu l’imaginer.
Pourquoi ?
C’est en effet l’acidose qui procure cette sensation de brûlures musculaires. Mais des études prouvent que le muscle peut parfaitement fonctionner en acidose. Ce que l’on sait aussi, c’est qu’en faisant diminuer l’acidose avec une substance comme le bicarbonate, la performance est améliorée, par exemple sur un 800 m. Mon hypothèse ( et elle n’a pas été vérifiée scientifiquement ), c’est que les muscles ne sont intrinsèquement pas plus performants qu’avant avec du bicarbonate, mais que la commande nerveuse du cerveau, qui perçoit alors moins la fatigue, peut se faire plus intensément. La relation entre fatigue et aci- dose est indirecte. L’acidose donne une information au cerveau qui y répond par une baisse du niveau de contraction musculaire.
Vous êtes vous-même un adepte des sports d’endurance comme l’ultramarathon. Vos recherches vous aident-elles à dépasser vos limites ?
Plus je fais de sport, plus je me rends compte que le mental est important. J’estime pourtant que c’est mon point faible. Mais si je me fais moins mal, c’est probablement que j’ai moins de capacités que d’autres à me dépasser.
La fatigue, c’est quoi ?
La fatigue, c’est quand on est fatigué
Les scientifiques ne sont pas allés beaucoup plus loin que cette lapalissade. Guillaume Millet se lance : « On peut définir la fatigue en deux points. Le premier, c’est l’augmentation du coût ( énergétique ou mental ) qui survient au cours d’un exercice. Par exemple, quelqu’un qui court tout un marathon à la vitesse régulière de 10 km/h, consommera plus d’oxygène et fera un effort mental plus intense à la fin qu’au début. Le deuxième point, c’est la baisse de la force maximale d’un individu. Par exemple, quand on contracte le quadriceps au maximum après un marathon, on est moins fort ».
Fatigue aiguë et fatigue chronique
La définition précédente concerne la forme aiguë de la fatigue.
Et l’autre ? « C’est la fatigue chronique, c’est-à-dire le surentraînement », répond Guillaume Millet. Reste que les sportifs d’élite ont souvent de la peine à faire la différence entre le trop ou le trop peu. La physiologie a fait des progrès à ce sujet. « On essaie de prédire le surentraînement par certaines méthodes, même si aucune n’est fiable à 100 %. L’une d’elles est d’enregistrer la fréquence cardiaque au repos pendant la nuit. Si elle est uniforme, bizarrement, on pense qu’il y a surentraînement ».
Un drôle de phénomène
Chez le muscle, tout n’est pas dans les biscotos. Le muscle est malin. C’est ainsi qu’un étonnant phénomène a été découvert dans des exercices comme une descente à pied même en marchant. « Si le muscle se contracte et s’étire en même temps, il se crée des dommages musculaires qui provoquent des courbatures », raconte Guillaume Millet. Vient le plus intéressant : « Si on refait le même parcours dans les mêmes conditions, le muscle s’adapte. Les courbatures seront moins fortes ou elles auront carrément disparu. C’est ce que l’on appelle l’effet protecteur du premier exercice ».
Récupération : qu’est-ce qui est efficace ?
Cette fois, ça y est, vous êtes crevé, lessivé par un effort trop long. Quelles méthodes choisir pour bien récupérer. Guillaume Millet donnent des pistes.
Quels conseils pouvez-vous donner pour récupérer le mieux possible ?
Je n’ai pas de réponses claires. La plupart des techniques de récupérations sont remises en cause par la littérature scientifique. Cela ne concerne que les sportifs d’élite, car les autres peuvent faire ce qu’ils veulent tant qu’ils dorment bien et qu’ils se nourrissent correctement.
Vous mettez en cause une des méthodes les plus connues, le décrassage ?
Dans certaines circonstances, je me demande en effet si cette technique est vraiment adaptée. Est-il vraiment bon de faire un décrassage après un match de foot ? Pas sûr. Pour les exercices très intenses, oui, mais pour les efforts moins soutenus comme un 10 km à la course, je ne suis pas convaincu de son efficacité. Le plus important dans les sports d’endurance est d’attendre le moins longtemps possible avant de s’alimenter. Bien sûr, il faut se mettre au sec et au chaud, car on est sujet aux infections. Ensuite, il faut manger des sucres rapides. C’est le grand moment, car juste après l’effort, ils ne font pas grossir.
Qu’en est-il des autres techniques de récupération ?
Le sauna, le massage, l’électromyostimulation, etc... c’est surtout du confort psychologique. Mais si on part du principe que le cerveau est une des clefs de la performance, alors, il faut en tenir compte. Il y a d’autres avantages. Le point positif de l’électromyostimulation, c’est que l’on peut le faire chez soi, dans l’avion, dans le train. Le pire, c’est de ne pas bouger. Je suis surpris de voir certaines équipes de haut niveau de foot ou de rugby rentrer d’un match tout de suite en voiture ou en car et donc passer de longues heures avec les jambes repliées. Ils feraient mieux d’aller à l’hôtel.
Les bas de contention vous paraissent être une piste prometteuse. De quoi s’agit-il ?
Le but est de compresser le mollet afin que le sang retourne bien dans la circulation profonde. Les rares études effectuées sur le sujet sont encourageantes.
Vous allez même jusqu’à nier l’efficacité du massage pour un cycliste. Mais si le coureur n’est pas massé, il devient fou
C’est avant tout psychologique. Les coureurs sont tellement persuadés que ça marche, que ça joue effectivement un rôle. Si on enlève le massage, le cycliste pensera que ce n’est pas possible de faire sans, donc il n’y arrivera pas. Dans certains cas, le masseur devient même un gourou.
A vous entendre, les sportifs se compliquent la vie. Pour récupérer, il suffit de bien dormir et de bien se nourrir
Oui, c’est la base. Reste que le sport de haut niveau se joue à tellement peu de choses que si l’athlète pense que c’est bien, alors allons-y. Ce qui me gène, d’une façon générale, c’est que les enjeux financiers sont tels que les fabricants ne reculent devant rien pour vanter leurs produits.
Un message, un commentaire ?
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.