Ladji Doucouré passe ses haies en revue

Comment décrivez-vous votre première haie ?

La haie traître ! Comme elle dirige toute la course, elle est la plus difficile et la plus redoutée. Lancé à fond, je dois la traverser sans être trop au-dessus et sans la toucher. Elle ne me pardonne aucune petite faute au point de sérieusement me condamner si je la touche.

La deuxième ?

La haie de rattrapage, seconde chance pour bien me placer si je ne me suis pas tout à fait placé en sortant de la première. Après la première et surtout après la seconde, je dois être bien dans l’axe.

La troisième...

La haie du risque. La haie où la prise de risques est maximale parce que j’y passe la vitesse supérieure. Comme je ne suis pas encore totalement lancé donc définitivement placé, je n’y éprouve pas de bonnes sensations.

Et, la quatrième ?

La haie de l’accélération ! Entre la troisième et la quatrième, je ressens nettement le coup de booster mis sur la troisième. Alors, je dois m’appliquer à rester bien gainé afin de ne pas être chahuté par cette accélération. Si ma course est propre, je ressens alors cette injection surtout sur l’avant du pied.

La cinquième ?

La haie de l’envol ! Si tout se déroule comme prévu, j’y suis aérien. J’y ressens une réelle impression de facilité, de maîtrise. Si tout file vraiment bien, cette impression est confirmée sur la sixième haie, la soufflerie.

Pourquoi, la soufflerie ?

Ma pointe de vitesse est à son maximum. Sur mes joues et mes oreilles, je sens le vent souffler.

Au point d’être grisé ?

Complètement ! A tel point que la septième haie peut être piégeuse : donc, méfiance ! Je l’aborde au taquet, avec cinq mille tours au compteur. Si je ne fais pas gaffe, je me prends les pieds dans le tapis et je fais une sortie de route ! En règle générale, si je la franchis mal, c’est foutu. Le 110 m haies est une course à hauts risques. La moindre erreur se paye cash, surtout si vous la faites sur cette septième haie.

La huitième ?

La haie du point mort où je subis le plus, où je n’ai presque rien à faire si ce n’est me laisser porter par ma vitesse puis la franchir tranquillement. Je dois surtout m’appliquer à rester bien haut. Comme je n’ai presque rien à y faire, le risque est de m’affaisser.

La neuvième ?

La haie de la relance : dans l’idéal, je remets un petit coup d’accélération pour revenir à mes cinq mille tours au compteur. Comme j’en ai perdu quelques uns entre la septième et la huitième, je tente de me rebooster.

Enfin, la dixième : la délivrance ?

Non, la petite soeur de la première, un peu traître ! Son aînée détermine un bon début de course. Elle, une bonne fin de course. A cet instant, la fatigue ou la sur-vitesse vous attendent au tournant. Si j’en sors bien, j’aborde idéalement le plat pour aller encore grappiller quelques centièmes faisant souvent la grosse différence. Si j’en sors mal, je suis en équilibre précaire à sa sortie donc, pas armé pour bien profiter de mon plat. En général, je me la paye souvent.

Comme aux Jeux d’Athènes en 2004, à Eugene en 2007, en demi-finales et en finale des championnats de France début août ?

Longtemps, ma bête noire fut la cinquième puis, la septième. Depuis Athènes, la dixième me pourrit mes courses... et mes nuits.

Vos nuits ?

Elle me fait encore parfois cauchemarder : je me vois la toucher de telle et telle manière. Finalement, elle est ma petite alarme intérieure me rappelant d’être vigilant en permanence. Avec le temps, j’ai appris à me méfier de toutes ! Exigeantes et intransigeantes, elles ne me pardonnent rien.