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Marie-José Perec : « Rien ne sert de courir … »


Publié le jeudi 5 juin 2008 à 17h28min

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8 ans après son départ de Sydney, Marie-José Perec, revient sur les évènements de septembre 2000, et raconte enfin son évolution dans un autoportrait de femme sincère et sans tabous.




- Pourquoi choisir de rompre le silence et de briser votre réserve légendaire ?
J’ai fini par comprendre que si l’on ne parle pas, on ouvre la porte à toutes les rumeurs. Regardez ce qui arrive à Laure Manaudou. Après l’épisode de Sydney, c’est devenu intolérable. Je me suis rendu compte que les gens parlaient d’un personnage qui n’était pas moi, dans lequel je ne me reconnaissais pas. On est tout seul face à soi quand on est sportif de haut niveau. Néanmoins, j’ai attendu très longtemps pour écrire ce livre. Après Sydney, je suis tombée dans un trou noir. Je ne voulais pas en parler, revenir sur ce qui me faisait mal. Et puis, à force de croiser des gens dans la rue qui me demandaient si j’allais bien, ce qui m’était arrivé, j’ai pensé que je me devais de leur dire la vérité. J’ai senti comme un devoir d’assouvir la curiosité de tous ces gens qui m’ont aimée et accompagnée.

- Huit ans après, quel regard portez-vous sur cet épisode de Sydney ?
C’est une très grosse cicatrice, mais je dois l’accepter. Elle est désormais constitutive de moi. A Sydney, ma force intérieure s’est rompue. Outre la violence que cette histoire a déchaînée contre moi, le plus dur a été cette impression d’inachevé. J’ai vécu ces JO de 2000 comme une porte qui claque. C’est cela que je répare avec ce livre. J’ai regardé dans tous les tiroirs avant de les refermer. Maintenant, je dois passer à autre chose.

- Continuez-vous à courir ?
Cela fait huit ans que je ne cours plus. Et je mentirais en vous disant que je fais dix footings par an. Pour courir, j’avais besoin d’une motivation. Je ne l’ai plus. Sortir de mon lit de moi-même m’est devenu impossible. Après ma blessure en 2003 aux Championnats du Monde, j’ai compris que mon corps était fatigué. C’est pour cela que j’ai mis un terme à ma carrière. Mais il m’a fallu un an pour pouvoir me dire que je n’étais plus une athlète.

- Etes-vous aujourd’hui capable de regarder votre carrière avec fierté et satisfaction ?
Pas tout à fait. Mon rêve était de gagner trois Olympiades sur 400 mètres. Je n’y suis pas parvenu. Néanmoins, le 200 mètres reste ma plus belle course. J’étais la seule à y croire, mais je me suis rapprochée de la « course parfaite ». J’ai connu cette sensation d’avoir des mouvements tellement fluides qu’on se sent léger, qu’on a l’impression de marcher sur l’eau et d’atteindre le firmament.

- Dans votre livre, vous établissez un lien entre votre identité antillaise et votre besoin de courir…
Oui, je crois qu’il y a toujours eu une colère en moi. J’ai vu comment les Antillais étaient perçus, des êtres nonchalants, feignants, aimant faire la fête. Au fond, j’avais envie de dire : « nous ne sommes pas que ça ! » Par mes courses et mes victoires, je voulais proclamer qu’on était aussi capables de gagner, d’avoir un projet, d’aller jusqu’au bout. Cette idée d’être une ambassadrice des Antilles ne m’a jamais quittée. Avant chaque course, je pensais à mon pays, je le voyais même. J’avais la peur au ventre, mais c’était comme une question de vie ou de mort, je sentais que je devais quelque chose à « mes gens »… C’est comme ça que je les appelle. C’était pour cela qu’il fallait que je gagne. J’étais une tueuse.

- Vous n’hésitez pas à dire que vous êtes Antillaise, pas réellement française…
Oui et je l’assume. Je fais partie d’une culture où l’on ne découvre qu’on est Français qu’en débarquant en métropole. En réalité, on n’est pas vraiment considéré comme des Français. Notre histoire, on ne nous l’a pas apprise. On ne sait pas trop où se positionner. C’est vrai pour tous les Antillais qui vivent sur le continent, mais aussi pour les sportifs de haut niveau. C’est comme pour Noah, on est simplement Français quand on gagne… Au fond, il n’y a qu’en Guadeloupe que je me sens libérée. Là-bas, je suis sereine, légère, moins sur la défensive…

- Votre indépendance farouche, notamment vis-à-vis de la Fédération Française d’Athlétisme, vous a valu de nombreuses critiques. Etait-ce nécessaire dans votre livre, de traiter les athlètes français de « coquelets bleu blanc rouge » ?
Je parle là des athlètes sélectionnés aux Jeux Olympiques. Je n’ai jamais supporté l’ambiance qui régnait au village. C’est pour cela que j’y allais peu. Je n’avais pas envie de me retrouver avec des sportifs dont la seule satisfaction est de se balader avec leur carte d’accréditation sur la poitrine. Si je les traite de coquelets, c’est parce qu’ils font les beaux. Leur grand plaisir est de s’exhiber et de faire la fête. A mes yeux, l’équipe de France, ce n’est pas une colonie de vacances.

- Vous serez à Pékin en août en tant que consultante. Croyez-vous que la France pourra décrocher de nombreuses médailles ?
Je pense qu’en judo et en natation, on peut espérer des résultats. On n’est pas mal en ce moment. En revanche, je suis moins optimiste en ce qui concerne l’athlétisme. Je trouve qu’on manque un peu d’énergie. Depuis quelques années, et pas seulement en France, l’athlétisme manque de charisme. A mon sens, c’est parce que les choses vont trop vite : les athlètes n’ont pas le temps de prendre une dimension.

- Vous avouez avoir voté Sarkozy lors des Présidentielles et faire partie aujourd’hui des déçus…
Je crois être comme beaucoup de ceux qui ont voté Sarkozy, forcément un peu déçue. Si j’ai voté pour lui, c’est parce qu’il était le plus clair. Pour autant, je n’étais pas en accord avec l’ensemble de ses idées, comme ses tendances sécuritaires, mais j’ai apprécié sa volonté de relancer le travail, de récompenser le mérite. Mon esprit de compétition fait de moi une adepte de la responsabilisation. En revanche, j’ai été insupportée par son discours de Dakar et l’épisode des tests ADN. Et je n’ai pas plus apprécié cette idée de faire parrainer un enfant de la Shoah par un élève de primaire. Cela dit, je veux croire qu’il ne faut pas baisser les bras. On verra bien si Sarkozy réussit la rupture promise, sans humilier certains et en respectant les différences.

- Au fil de votre livre, on sent chez vous comme une insatisfaction, une volonté de trouver une autre passion, de remplir à nouveau votre vie…
C’est vrai, je cherche une activité… J’ai arrêté ma carrière sans imaginer la suite. J’ai essayé de me lancer dans des projets touristiques en Guadeloupe, mais je me suis rendu compte que cela ne m’intéressait pas. J’ai repris des études et j’ai fait un peu de théâtre au Cours Florent, mais sans imaginer devenir comédienne. Je voulais juste apprendre à être un peu à l’aise avec les autres. J’y suis arrivé même si je me fais toujours violence. Ce travail sur moi était utile, mais pour l’instant, ça ne m’a pas apporté ce que je cherchais. Alors, pour l’instant, je dessine, je voyage, je prends des cours de piano, je m’occupe de ma famille. Et surtout, j’essaie d’avoir un bébé. C’est probablement cela qui me préoccupe le plus.


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