Interview de Dick Pound président de l’Agence Mondiale Antidopage

Fondée dans la foulée de l’affaire Festina qui avait secoué le monde du cyclisme en 1998, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a mis du temps pour se faire respecter. Le travail du président Dick Pound et de son équipe commence cependant à payer, au vu des exclusions spectaculaires qui ont marqué les JO d’Athènes et des suspensions lourdes qui viennent de frapper des athlètes de premier plan.

Dans son bureau de Montréal, Dick Pound aurait de quoi fanfaronner. Au cours du dernier mois, il y a eu quasiment plus d’annonces de suspensions et de contrôles positifs que durant certaines années, mais le patron de l’Agence mondiale antidopage reste sur ses gardes face à des tricheurs qui ont toujours eu une longueur d’avance.

Huit ans de suspension pour le tennisman Puerta, fin de carrière pour le sprinter Montgomery. Après les débuts si difficiles de l’agence, n’avez-vous pas l’impression de rêver ?
On est effectivement en train de vivre une étape très importante, qui prouve que nous étions dans le vrai lorsque tout a commencé, en 1999. Aujourd’hui, je crois qu’il n’est plus possible de dire que notre combat est vain, et même s’il y aura toujours des tentatives, les athlètes commencent à réaliser que les risques de se faire pincer sont énormes.

D’autant que Tim Montgomery, qui a détenu le record du monde du 100 mètres, a été suspendu sans avoir jamais été contrôlé positif. C’est un mur qui s’effondre...
Après des mois de procédure, le Tribunal arbitral du sport a admis que les versions données par d’autres personnes, notamment sa compatriote Kelli White (n.d.l.r : championne du monde en 2003, déchue de ses titres sur 100 et 200 m), pouvaient êtres prises en compte. Il n’y avait jusqu’ici que les tests positifs et les aveux comme formes de preuve admissibles et cette ouverture supplémentaire ne fait que renforcer la lutte.

Pourtant, on évoque déjà l’arrivée probable du dopage génétique. Etes-vous de taille à faire face ?
Durant quarante ans, nous nous sommes laissé devancer par les petits chimistes de génie et je ne veux pas reproduire la même erreur. C’est pour cela qu’un quart de notre budget de 30 millions de francs est alloué à la recherche, qui met particulièrement l’accent sur les manipulations génétiques. En l’état de nos connaissances, je peux donc dire que le jour où ce nouveau fléau frappera à la porte - ce qui semble ne pas être encore le cas - nous serons prêts, avec des tests fiables.

Malgré ces recherches, existe-t-il encore beaucoup de produits indétectables ?
(Silence.) Well..., je crois que oui. L’agence aborde votre question de cette façon, en s’interdisant d’avoir des certitudes. Nous devons ainsi améliorer certains tests existants, comme la détection des hormones de croissance ou les contrôles sanguins, car des inconscients continuent à aller plus loin, quitte à prendre le risque de sacrifier leur vie avec des produits clandestins toujours plus dangereux.

Malgré vos résultats, on a parfois l’impression que le dopage n’existe pas dans le sport toute l’année, mais un mois dans le tennis, un autre du côté de l’athlétisme, etc. Est-ce vraiment sérieux ?
Le premier constat, c’est qu’aucun sport n’est à l’abri, mais vous avez raison d’émettre ce doute. A mon sens, cela s’explique parce que des fédérations sont plus déterminées que d’autres et qu’elles engagent souvent des moyens supplémentaires dès qu’une affaire sort, ce qui rend les athlètes de la discipline visée plus prudents. Après les suspensions de plusieurs skieurs finlandais en 2001, la Fédération internationale de ski a, par exemple, redoublé d’efforts, alors que nous avons comme toujours des problèmes avec d’autres dirigeants, à commencer par le cyclisme.

L’ancien président Hein Verbruggen jure pourtant du contraire !
Eh bien, notre désaccord est donc loin d’être réglé ! Je suis disposé à être un partenaire pour lutter contre le dopage, mais pas dans le dopage... Là, ils devraient au moins varier les programmes et les approches car on sait très bien qu’il y a de nombreux coureurs qui se dopent dans le peloton et que très peu se font attraper.

Vous pensez à Lance Arm-strong ?
Oui. Nous sommes en train d’étudier son cas, car je ne suis pas certain que l’enquête annoncée par l’Union cycliste internationale va répondre à toutes les questions que les gens se posent. Moi, je veux des réponses et nous avons déjà interrogé Armstrong, la fédération, le laboratoire, le ministère français et même L’Equipe ! Le moment venu, nous rendrons public ce rapport, mais je vous demande de patienter encore un peu.

N’avez-vous pas le sentiment de passer d’un extrême à l’autre, quand on voit que les Italiens veulent mettre les dopés des prochains Jeux d’hiver en prison ?
D’abord, il faut dire que, malgré l’existence d’une loi, les Italiens n’ont jamais mis personne en cellule. Le problème est que là-bas, une instruction dure près de quatre ans, ce qui est beaucoup trop long pour un sportif. De plus, il faut harmoniser les sanctions dans le sens où la personne qui achète des stéroïdes au Canada prend le risque d’être disqualifiée de toutes ses performances alors qu’en Italie c’est un billet pour la prison.

A Turin justement, quelles seront vos priorités ?
Nous aurons plusieurs missions, en tant qu’observateurs indépendants et responsables des contrôles en dehors des sites, par exemple dans les hôtels qui ne se trouvent pas dans les lieux de compétition. J’espère que l’expérience d’Athènes aura fait un peu réfléchir les athlètes et qu’ils auront compris que nous pouvons tous les démasquer. Aux Jeux olympiques, les tricheurs ne sont vraiment plus les bienvenus et nous leur réservons aussi quelques surprises...

Et vous, quelles surprises craignez-vous ?
Pour l’avenir, je me méfie des avocats ! Depuis que les tests sont fiables, les excuses deviennent de plus en plus complexes et je crois que c’est une menace. On a essayé de l’anticiper avec le code mondial, mais ce n’est pas suffisant. Montgomery a engagé quatre défenseurs dans le seul but de gagner du temps, alors que Puerta a pu disputer le Masters en attendant son verdict, ce que des procédures plus rapides doivent absolument empêcher à l’avenir.