Sport et science, les liaisons dangereuses
Publié le mardi 12 août 2008 à 10h01min
A l’occasion des Jeux de Pékin, « Les Echos » commencent une série en six volets sur les apports de la recherche scientifique dans le sport de compétition.
Profitez de ces jeux Olympiques. La Chine présente cette année l’un des derniers grands spectacles de la performance sportive. » L’avertissement des chercheurs n’a rien d’idéologique : selon les calculs de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes), le plafond des limites physiologiques de l’espèce humaine sera bientôt atteint et l’intérêt de la compétition s’en trouvera réduit d’autant. Pour appuyer sa thèse, le bio-informaticien Geoffroy Berthelot a travaillé sur 3.263 records mondiaux établis depuis 1896, date des premiers jeux Olympiques modernes, dans cinq disciplines objectivement quantifiables : athlétisme, cyclisme, haltérophilie, natation et patinage de vitesse.
Partant de ces données, il a établi un modèle statistique pour dresser les courbes d’évolution des résultats. « Après les phases riches en performances des années 1920, 1950 et 1960, notre courbe montre une diminution inéluctable du nombre de records depuis 1970, ce malgré le temps, les moyens et l’envie des nations de se consacrer à la compétition et l’accroissement consécutif du nombre de pays et d’athlètes participants : 14 nations en 1896 à Athènes (240 participants), 202 nations et 11.100 athlètes à Athènes en 2004. C’est le début de la fin », résume Geoffroy Berthelot. Selon ses calculs, la moitié des records mondiaux ne sera plus améliorée de plus de 0,05 % d’ici à 2027. En extrapolant les courbes, le chercheur a fixé à une génération, au plus, les frontières absolues des capacités physiques humaines. « En 1896, l’homme utilisait 75 % de ses capacités. Cent onze ans plus tard, à force de sélection et d’optimisation, nous en sommes à plus de 99 %. »
En raison de leur ancienneté dans les Jeux, toutes les épreuves ne sont pas concernées de la même façon. Apparue en 1999 dans la compétition, la perche féminine affiche par exemple une asymptote comprise entre 5,15 et 5,40 mètres, très loin du record actuel (5,01 m), offrant une marge de progression entre 3 et 8 %. Même chose pour la natation, le vélo et toutes les disciplines susceptibles d’être « dopés » par l’apport de nouvelles technologies comme de meilleures combinaisons. « Partout ailleurs, il va falloir s’habituer à des arrivées millimétriques : un millième d’écart aux 100 mètres, un centième au marathon, quelques grammes en haltérophilie... »
Grâce au mental
C’est cependant sans compter deux phénomènes encore peu explorés des chercheurs : la part de la préparation mentale et les perspectives de la génétique dans le dépassement des frontières physiologiques. Une année olympique aiguise les appétits, décuple les envies, dope l’ambition et affole les chronos. « Pour de nombreux athlètes, explique l’entraîneur Guy Ontanon, les Jeux sont un moyen d’exister, de gagner une reconnaissance nationale et un niveau de salaire décent. » Avec la crise et les perspectives d’ascension sociale qu’il offre, cet accélérateur de performance tourne à plein régime. Sur 100 mètres, le Jamaïquain Usain Bolt, mais aussi Tyson Gay et Asafa Powell ont banalisé l’exception. Chez les filles, douze ont cassé cette année la barrière mythique des 11 secondes contre seulement quatre l’an passé, deux en 2006, cinq en 2005 et quatre encore avant les JO d’Athènes.
« On gagne ou on perd à cause du mental », explique Jean Fournier, chercheur en psychologie du sport à l’Insep (Institut national du sport et de l’éducation physique). Les sportifs anglo-saxons, qui travaillent sur les capacités mentales autant que physiques, ont bien compris le bénéfice qu’ils avaient à tirer en développant leurs compétences psychologiques régulant les pensées (y compris les plus noires) et les émotions. Cela va de l’évaluation de ses performances pour se fixer des objectifs clairs, à la connaissance des sources de motivation en passant par la relaxation active, la concentration, l’imagerie mentale de plus en plus en vogue pour perfectionner le geste, ou encore l’organisation. « L’émotion est un sentiment complexe dont on perçoit encore assez mal le rôle dans la performance et le dépassement de soi », poursuit le chercheur.
Pis : toute tentative de contrôle mal maîtrisé peut induire ce que le professeur Wegner de l’université d’Harvard a baptisé « l’effet ironique ». C’est une réaction paradoxale du contrôle mental : dans certaines conditions, la pensée négative qu’on cherche à supprimer revient avec encore plus de force. Au lieu de se dépasser, de positiver ses émotions négatives, l’athlète se trouve du coup paralysé, incapable de se contrôler.
Le facteur génétique
Pour contrer ces effets dévastateurs, de nouvelles approches ont vu le jour. « Tout le temps perdu à gérer son stress est improductif », résume Jean Fournier. C’est ce que tentent sur certains patients dépressifs les cliniciens du service de psychiatrie et de psychologie médicale du CHU d’Angers : au lieu de lutter contre les idées noires, ils tentent de focaliser leur attention sur d’autres sujets qui finiront par effacer d’eux-mêmes les pensées les plus sombres. « C’est pareil pour les sportifs : si un athlète se concentre sur son geste, il a toutes les chances d’échouer. Mais si ses pensées convergent vers un objectif différent, il déplace son attention vers un enjeu plus diffus : la trajectoire, l’état psychologique de l’adversaire... Il se bat dès lors contre celui qui est en face, non plus contre lui. » Ça n’a l’air de rien, mais cette nouvelle façon d’appréhender la compétition introduit une petite révolution dans le monde des entraîneurs. « Désormais, on sait qu’un athlète peut se sentir mal, mais aller vite quand même », résume l’un d’eux.
Une autre révolution attend les sportifs avec les progrès de la génétique. L’hiver dernier, Kathryn North et son équipe de l’université de Sydney, ont mis en évidence l’inégalité physique flagrante des athlètes en démontrant qu’une variation génétique agit sur les performances sportives. En 1999, elle avait mis en évidence que 18 % des personnes d’origine européenne étaient dépourvues d’une protéine importante, l’alpha actinine 3 (ACTN3), utilisée par les fibres à contraction rapide sollicitées lors d’un effort violent. En étudiant les athlètes de son pays, elle découvre que toutes les sprinteuses d’élite possèdent cet ACTN3. En revanche, elle est absente chez les marathoniennes et généralement présente en faible proportion à mesure qu’augmente le recours à l’endurance. Au total, note la chercheuse, plus de 1 milliard de personnes sur terre seraient dépourvues de la protéine, excepté en Afrique où les populations ont conservé le gène non muté de l’ACTN3. L’avantage conféré est indéniable. Après avoir inactivé le gène chez les souris, ils ont constaté que les fibres musculaires rapides de ces animaux étaient mieux adaptées pour utiliser l’oxygène, avec une performance sur tapis 33 % supérieure aux autres. L’absence d’ACTN3 rapproche leur métabolisme de l’aérobie des fibres lentes recrutées pour l’endurance : au lieu de brûler rapidement l’énergie disponible sous forme de sucres, les muscles deviennent capables de l’exploiter plus complètement pour fournir un effort prolongé, « ce qui a pu aider les hommes à survivre dans leur migration hors d’Afrique », avance Kathryn North dans la revue « Nature Genetics ».
La tentation du dopage génétique n’est pas loin. « Le transfert d’usage entre les applications thérapeutiques et le sport est imminent », a rappelé Theodore Friedmann, président de l’American Society of Gene Therapy lors du 3e Symposium du dopage génétique qui s’est tenu en juin à Saint-Pétersbourg. La Repoxygen, une thérapie génétique en développement qui pourrait booster artificiellement la production de globules rouges, cristallise aujourd’hui toutes les inquiétudes du monde sportif. A moins d’un sursaut éthique d’envergure, les prochains jeux du stade pourrait se courir dans les coursives des laboratoires.
Voir en ligne : Les Echos
Un message, un commentaire ?
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.