La technologie au service des athlètes
Publié le jeudi 3 février 2005 à 18h42min
Il existait les carnets de route dans lesquels chaque détail de la vie du sportif était répertorié. Aujourd’hui, les logiciels de gestion d’entraînement tendent à les remplacer. Enquête autour d’un outil qui séduit en toute discrétion.
« Quand avez-vous pris pour la dernière fois des antibiotiques ? Quel volume ou quel type d’entraînement avez vous suivi ces trois derniers mois ? Et la saison passée à la même époque ? » Philippe Mauron se penche sur ces questions depuis plus de 20 ans. « Mon but n’est pas de proposer un programme qui dit comment faire, mais qui archive le quotidien du sportif et lui permet d’évaluer sa progression ou de comprendre ses passages à vide. »
Ancien gymnaste du cadre national, l’habitant de Belmond ne quittait, à l’époque, jamais ses bulletins de santé et de préparation. Aujourd’hui, sa bibliothèque déborde de données éparses, de bréviaires soigneusement annotés avant de terminer au fond d’un carton. Cette multitude d’informations manuscrites restant lettre morte, Philippe Mauron réagit. Il décide de créer un logiciel informatique permettant de concentrer et d’analyser tous ces précieux relevés afin de donner une vision globale et à long terme de l’évolution de l’athlète. Voici trois ans, il lance le développement d’« iXmate », logiciel de gestion de la préparation du sportif, en collaboration avec l’Ecole d’ingénieurs de St-Imier et TT-Novatech & SysCo, une entreprise informatique de Neuchâtel.
Des données très détaillées
Terminées les feuilles quadrillées que l’on griffonne en vitesse avant de les fourrer dans son sac de sport. Une base de données collecte et réalise un suivi précis de l’activité de l’athlète. Bulletins médicaux, heures, intensité ou spécificité de l’entraînement, programmes de compétition, conditions du terrain, états d’âme, phases de sommeil... tout peut être enregistré à bien plaire. Le support ? N’importe quel ordinateur et un « OS Palm » permettent de charger ses données personnelles où que ce soit dans le monde. Utile lorsqu’on sait à quel point les athlètes voyagent. Les valeurs récoltées grâce au cardiofréquencemètre - « Polar » - peuvent également être transmises par infrarouge directement à l’ordinateur.
Commercialisé depuis l’automne dernier - plus de 550 licences ont déjà été vendues - « iXmate » doit affronter une foule de petits frères et sœurs sur le marché. Ils séduisent de plus en plus les athlètes s’entraînant seul. « Beaucoup de logiciels se cantonnent à un sport ou deux, tandis que tous les sports olympiques, soit plus de 245 disciplines, sont disponibles sur mon produit. Un questionnaire d’analyse des forces et des faiblesses de l’athlète donne également un point de départ au travail avec le coach », remarque le concepteur.
De la feuille à l’ordinateur
Passer du support papier au support informatique ne se fait pas sans susciter quelques réticences. Beaucoup d’athlètes, même de très haut niveau, à l’image du champion olympique Marcel Fischer, préfèrent une méthode traditionnelle (lire ci-contre). Les disciplines privilégiant ce mode de travail restent encore les sports d’endurance dans lesquels l’entraîneur n’a pas besoin d’être présent quotidiennement (lire ci-dessous).
Si l’intérêt demeure relatif, certains ont franchi la barrière technologique, comme c’est le cas du Biennois Nicolas Siegenthaler, entraîneur du Team Scott Allianz. « Je ne suis pas un as de l’informatique et les débuts ont été plutôt difficiles. Mais le concept est ouvert et adaptable à tout type d’entraînement. Pour un coach qui cherche à améliorer et à comprendre l’évolution de son athlète, cet outil est vraiment bénéfique. »
Communiquer avec l’athlète
« Les commentaires subjectifs (n.d.l.r. : les impressions et les soucis) rapportés par l’athlète dans les paramètres prévus à cet effet, m’aident dans mon suivi, poursuit Nicolas Siegenthaler. Si les temps du coureur sont en progression mais que sa motivation est en chute libre, je vais modifier mon entraînement ou, du moins, essayer de savoir ce qui ne va pas. Le logiciel apparaît comme un moyen de communication entre le coach et le compétiteur. »
Sous l’aile de Nicolas Siegenthaler, Nino Schürter, champion du monde juniors en VTT, s’entraîne actuellement en Afrique du Sud. « Je peux lui fournir son programme et l’adapter en fonction du retour qu’il me donne via le logiciel. A la fin de son séjour, je sortirai ses statistiques détaillées et nous en discuterons. »
Philippe Mauron sait que le travail reste celui de l’athlète avant tout. « Les compétiteurs ne deviendront pas des champions grâce à « iXmate », mais grâce à ce programme, qui structure et professionnalise l’entraînement, ils pourront se poser les bonnes questions afin d’arriver à leur potentiel maximal. »
Se donner confiance
Championne d’Europe juniors, la vététiste Emilie Siegenthaler a servi de cobaye au logiciel de gestion d’entraînement de Philippe Mauron. Elle l’utilise depuis un an. « J’ai testé les versions d’essai et signalé quels paramètres manquaient, précise la spécialiste de VTT. Par exemple, la vue d’ensemble de la saison était trop détaillée, ce qui compliquait la lecture des statistiques. »
Auparavant, la Seelandaise répertoriait sa préparation, de semaine en semaine, sur de simples feuilles. Seul le nombre d’heures d’entraînement, les kilomètres et les sensations y figuraient. « Au quotidien, j’utilise ce logiciel de gestion avant tout pour archiver mes valeurs. Son intérêt grandira au fil des saisons. Dans trois ou quatre ans, je pourrai analyser pourquoi je n’étais pas performante à telle période et ne pas commettre les mêmes erreurs. Après une saison d’utilisation de cet instrument, je me sens déjà plus sûre de moi, parce que j’arrive mieux à voir où j’en suis physiquement. »
Pour les triathlètes et les personnes en rééducation
Gabriel Messmer, entraîneur national de triathlon et coach de personnes de tout âge suivant une rééducation, a testé lui-même le produit du Seelandais et travaille depuis décembre avec des triathlètes sur ce programme. « Jusqu’ici il n’existait pas un logiciel alliant carnet d’entraînement et planification. C’était soit une proposition de programmes prédéfinis de manière rigide, soit un support de planification. Tandis que désormais, un suivi personnalisé de chaque athlète, dans une multiplicité de disciplines, est possible avec un seul logiciel. » Une ergonomie qui colle davantage aux besoins et aux réalités des sportifs ou des personnes devant suivre un entraînement pour des raisons médicales, quel que soit leur état de forme.
« Le nombre de séances avec les athlètes diminue, mais les informations transmises grâce au logiciel augmentent, observe Gabriel Messmer. Cela ne veut pas dire que l’athlète et l’entraîneur n’auront plus besoin de se voir et de se parler. Il y aura toujours un bout de papier sur lequel le coach dessinera une structure d’entraînement ou un exercice à corriger. »
Manque le contact humain...
Entraîneur dans le cadre de la Fédération Suisse d’Athlétisme pendant plus de quinze ans, puis préparateur physique de sportifs renommés, Jean-Pierre Egger privilégie le contact humain dans l’entraînement. Non qu’il faille border les athlètes, mais les aiguiller. « Certains compétiteurs peuvent se bâtir seul s’ils possèdent la connaissance et le savoir-faire. En course à pied, les conseils d’un coach se révèlent moins nécessaires que dans des disciplines techniques comme la gymnastique par exemple », repositionne le préparateur physique du Team Alinghi.
Mais la maîtrise des mouvements justes et appropriées se perd comme le signale l’habitant de La Neuveville. « Si on ne montre pas l’exercice et que l’athlète ne sait pas dans quel cadre l’inscrire, il risque de travailler dans le vide. Ce transfert du savoir-faire, la technologie ne pourra jamais le perpétuer. » Autrement dit, le logiciel ne pourra jamais corriger un exercice ou un entraînement mal exécuté.
Jean-Pierre Egger utilise un programme informatique pour la planification du suivi des athlètes. « Le nombre de compétitions est toujours plus important. Les footballeurs et les joueurs de tennis sont de plus en plus sollicités, presque au-dessus du respect des paramètres physiques. La force a également pris une ampleur croissante dans tous les sports. Le rôle de l’entraîneur est de maintenir un équilibre entre performance et santé et de mettre au point des stratégies de préparation. Dans ce cadre, un logiciel de gestion peut être utile et permettre de structurer intelligemment le quotidien du sportif. Mais au final, c’est toujours l’homme qui dicte son rythme. » L’entraînement est davantage qu’une bibliothèque de données à analyser ou d’exercices à comptabiliser. C’est un travail humain, avec ce qu’il représente de limites, d’erreurs et de doutes.
Egalement coach professionnel dans des entreprises, Jean-Pierre Egger ne craint pas l’évolution du temps et des technologies. Il n’en reste pas moins convaincu que l’ordinateur et n’importe lequel de ses programmes ne supplanteront jamais la force de conviction et de motivation d’un coach. « L’informatique est une aide à l’archivage des valeurs du sportif, un outil d’analyse donnant des éléments de comparaison, mais il ne remplacera jamais la relation privilégiée entre entraîneur et entraîné. Ce n’est pas parce que vous écrivez avec un ordinateur que vous maîtrisez mieux le français. Le texte sera peut-être plus lisible, mais le contenu restera identique », conclut-il.
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