Phil Gore et les frontières de l’endurance
Publié le vendredi 27 juin 2025 à 10h52min
Courir 6,7 km chaque heure pendant presque cinq jours, sans sommeil, sans cesse recommencer. C’est le défi radical du Backyard Ultra, une course qui ne s’arrête que lorsqu’il ne reste plus qu’un coureur debout. Jeudi dernier, Phil Gore a franchi la 119ᵉ boucle, couvrant 797,3 km, et battu le record mondial dans les terres australes, redessinant les limites humaines.
La boucle infinie comme mythe contemporain
Le Backyard Ultra s’apparente à un rite initiatique aux accents surréalistes : un cercle d’efforts répétés. Aucun chrono global, juste une boucle démarrée chaque heure, comme un métronome sans pitié. Chargée de symboles, cette épreuve est un miroir, où chaque heure renvoie l’image d’un corps défiant son propre arrêt.
L’épreuve sans fin
À chaque début d’heure, les participants doivent entamer un tour de 6,7 km, exactement. Une fois la boucle complétée, le temps restant jusqu’à l’heure suivante est pour se reposer, se nourrir, soigner ses pieds et mentalement se préparer à repartir. Il n’y a pas de ligne d’arrivée, pas de chrono final : la course s’arrête seulement lorsqu’il ne reste plus qu’un seul coureur capable de boucler la boucle. Cette mécanique simple devient un défi existentiel à mesure que la nuit avance, que les corps briguent un instant de sommeil, et que l’esprit vacille.
En pleine brousse australienne
Le Dead Cow Gully Backyard Ultra, organisé depuis quatre éditions sur un domaine familial près de Nanango, Queensland, prend place dans une ferme de bétail. Le parcours traverse gully, traversées de ruisseaux, zones exposées au soleil diurne et à la fraîcheur nocturne. Chaque coureur reçoit un identifiant au camp de base, autour duquel s’organise un système de solidarités silencieuses. Entre deux boucles, les assistants, proches ou bénévoles, massent, ravitaillent, préparent le corps pour la suivante. Sans eux, la dramaturgie humaine du lieu serait impossible.
Un anneau de sueur et de terre
Le circuit de boucle unique, d’environ 6,7 km, est tracé autour d’une gully nommée Dead Cow Gully, qui doit son nom à un bovin tombé dans la ravine. Simple et répétitif, ce tracé est redoutable : ses caractéristiques variables, chaleur l’après-midi, humidité la nuit, passages techniques, transforment la course en combat intérieur et matériel.
Un jeudi dans le mythe
Le départ est donné à 7 h samedi matin. Dès l’entame, 263 coureurs s’engagent dans cette mécanique folle. Les heures passent, les silhouettes tombent, jusqu’à ce que n’en restent que deux : Phil Gore, vétéran de l’épreuve, et Sam Harvey, Néo-Zélandais, avec un niveau stratosphérique. Dans l’obscurité de mercredi et jeudi, les deux hommes dépassent le record précédent : 118 boucles, soit environ 790 km. La scène est silencieuse et puissante : Phil franchit la boucle finale en solo, acclamé par un cercle réduit mais passionné, brandissant un record qui ravive l’histoire du Backyard Ultra.
Phil Gore : Un Australien infatigable
Originaire d’Australie-Occidentale, Phil Gore s’est d’abord illustré en 2023, lorsqu’il franchit 102 boucles sur le même site de Dead Cow Gully, établissant un record à l’époque. Homme de peu de mots, très résistant psychologiquement, il a fait de l’ultra-endurance une discipline de vie : reconnaître le corps, maîtriser la souffrance, mais aussi cultiver la camaraderie. Son exploit 2025 est le fruit d’un double engagement : la quête personnelle et la célébration d’un format qu’il aide à populariser. Le précédent record, détenu par le Belge Łukasz Wróbel avec 116 boucles, est désormais dépassé de trois tours. Gore n’a pas simplement gagné une course, il a inscrit son nom au panthéon de l’endurance humaine.
Sam Harvey : Finaliste
Le Néo-Zélandais Sam Harvey, son ultime adversaire dans cette joute infernale, a cédé à la 118ᵉ boucle, stoppé net par une douleur persistante au tendon d’Achille. Son abandon, survenu après près de cinq jours de lutte continue, n’enlève rien à sa performance hors norme, qui le place parmi les meilleurs de l’histoire du format Backyard. Sa détermination et son fair-play ont suscité l’admiration de toute la communauté.
Top 10 des records du Backyard Ultra : Une galaxie de dépassement
Voici les dix performances les plus longues jamais recensées dans cette épreuve particulière :
- 119 boucles, 797,3 km – Phil Gore (Dead Cow Gully, AU), 26 juin 2025
- 116 boucles, 777,9 km – Łukasz Wróbel (Belgique), avril 2025
- 110 boucles, 737 km – Merijn Geerts, Ivo Steyaert, Frank Gielen (Belgique), oct 2024
- 108 boucles, 724 km – Harvey Lewis (USA), oct 2023
- 107 boucles, Ihor Verys (UK/CAN), oct 2023
- 103 boucles, Bartosz Fudali (Pologne), oct 2023
- 102 boucles, Phil Gore (AU), juin 2023
- 101 boucles, Sam Harvey (AU), juin 2023
- 90 boucles, Merijn Geerts (Allemagne), mai 2022
- 85 boucles, Harvey Lewis (USA), oct 2021
Ces chiffres racontent une progression régulière, nourrie par une compétition mondiale toujours plus intense.
Les limites humaines à l’épreuve
Il est normal de s’interroger : est-ce vraiment possible pour un humain ? Oui, mais à certaines conditions précises. Les corps qui tiennent 119 boucles sont préparés des années à l’avance, entraînés pour encaisser la répétition, gérés en nutrition, solide hygiène opératoire, massage, soins. La gestion du sommeil, quasiment nul, devient une épreuve mentale : on dort à coups de minutes, entre les boucles.
Derrière l’exploit physique, il y a une acuité psychologique hors norme : renoncer au confort pour exister en effort constant. Les records sont limités par l’esprit autant que par le corps. Sans l’alignement des deux, cette performance resterait inaccessible. Mais avec l’intention, la préparation et la discipline, des humains comme Phil Gore franchissent ces frontières.
Standing ovation
Phil Gore n’a pas seulement battu un record. Il a sanctifié un format. Il a démontré que le Backyard Ultra peut être plus qu’un jeu de patience : c’est une arène, un miroir, une communion avec soi et les autres. À lui, à Sam Harvey, à ceux qui, avant eux, ont posé un pas de plus, nous offrons un immense bravo.
Bravo Phil, bravo Sam, bravo à tous : vous nous rappelez que l’endurance, la camaraderie, le dépassement sont encore ce qu’il y a de plus humain.
Voir en ligne : Marathons
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