Bobbi Gibb : La pionnière qui a fait entrer les femmes dans l’histoire du marathon

Quand la volonté d’une femme défie les barrières du marathon et de la société
Une société persuadée que les femmes sont incapables de soutenir l’effort d’un marathon. Un règlement qui interdit à celles-ci de s’inscrire à la plus ancienne course de Boston. C’est dans ce contexte que Bobbi Gibb, guidée par sa passion de la course et un désir de justice, va osé provoquer l’ordre établi. Son exploit de 1966, encore longtemps resté officieux, allait toutefois ouvrir une brèche décisive vers la reconnaissance des marathoniennes du monde entier.

L’audace d’une vocation
Bobbi Gibb grandit dans la banlieue de Boston, courant librement dans les bois dès l’enfance. Si sa passion pour la course s’intensifie rapidement, elle découvre aussi les obstacles qui freinent les ambitions féminines dans le sport. Encouragée par son entourage, licenciée dans le club du Massachusetts, Bobbi ne rêve que d’une chose : participer au prestigieux marathon de Boston, qu’elle observe chaque année depuis les bords de la route.

Sa demande d’inscription, adressée à l’Amateur Athletic Union (AAU) en 1966, se voit rapidement opposée une fin de non-recevoir : « Les femmes ne sont pas physiologiquement capables de courir un marathon. » Loin de décourager Bobbi, ce refus la renforce dans sa conviction de montrer à tous l’absurdité de cette croyance.

Le défi clandestin de 1966
Le 19 avril 1966, Bobbi Gibb, 23 ans, se glisse dans la foule au départ du marathon, vêtue du bermuda de son frère et d’un sweat à capuche bleu qui dissimule sa chevelure. Dissimulée derrière les buissons, elle attend que le peloton masculin s’élance avant de s’intégrer discrètement à la course. Très vite, les autres coureurs découvrent sa présence, mais loin de la rejeter ou de la dénoncer, ils l’encouragent, reconnaissant l’audace et la détermination qu’il lui faut pour affronter la distance et les préjugés.

Pour ce premier marathon, Bobbi Gibb franchit la ligne d’arrivée en 3 heures 21 minutes et 40 secondes, un temps plus rapide que les deux tiers des hommes engagés, sous le regard stupéfait des spectateurs et des journalistes. Le gouverneur lui-même vient lui serrer la main et son exploit fait les gros titres dès le lendemain. La performance, pourtant non officielle, aucune femme n’étant autorisée à figurer dans les classements, provoque une onde de choc dans les milieux sportifs et au sein de l’opinion publique.

Une marche irréversible vers l’égalité
Les réactions à la course de Bobbi sont immédiates : journalistes, coureurs et spectateurs questionnent l’interdiction visant les femmes et certains dirigeants sportifs envisagent déjà une suspension de la règle prohibitive. L’année suivante, d’autres femmes emboîtent le pas à Bobbi, encouragées par son courage. Elle-même reprend le départ en 1967 et 1968, terminant première femme à chaque édition, toujours sans dossard, mais son nom s’affirme dans les esprits.

La même année, en 1967, Kathrine Switzer s’inscrit officiellement au marathon (grâce à l’ambiguïté de ses initiales « K.V. Switzer » sur le formulaire), marquant ainsi un nouvel épisode décisif dans l’histoire du marathon féminin. Prise à partie par le directeur de course, elle finit la course grâce à la solidarité des coureurs. Mais Bobbi reste, dans les faits, la première femme à avoir parcouru officiellement la distance du marathon de Boston, en dépit de l’absence d’inscription.

Ce n’est qu’en 1972, après une pétition menée par Nina Kuscsik, que les femmes accèdent officiellement au départ du marathon de Boston et que leurs résultats commencent à être homologués par l’AAU (Amateur Athletic Union). Si la reconnaissance institutionnelle tarde, l’héroïsme de Gibb, lui, s’est déjà diffusé comme une traînée de poudre à travers les sociétés occidentales et inspire une vague de changements inédite dans le sport féminin.

Parcours personnel et carrière après le marathon
Bobbi Gibb traverse les décennies sans jamais cesser de se renouveler. Etudiante en philosophie et mathématiques à San Diego, exclue des études de médecine en raison de son sexe, elle embrasse une carrière protéiforme : assistance législative, droit, recherche scientifique au MIT sur la vision, mais aussi sculpture et écriture. Au barreau du Massachusetts dès 1978, elle n’oubliera jamais l’apprentissage de la persévérance que la course lui a inculqué, ni cet engagement pour l’égalité qui guide toutes ses actions.

En hommage à la progression du sport féminin, elle crée, en 1984, des statuettes en bronze offertes aux trois premières marathoniennes lors des essais olympiques américains. Sa biographie (Wind in the Fire), son entrée au National Women’s Hall of Fame, et son rôle de grande marraine du marathon de Boston lors du cinquantenaire, achèvent de sceller sa légende. Aujourd’hui, Bobbi Gibb continue de promouvoir, par l’écriture, la parole et l’art, les valeurs d’égalité qu’elle a portées sur bitume.

L’héritage immortel de Bobbi Gibb
L’histoire du marathon féminin ne peut s’écrire sans Bobbi Gibb. En courant là où tout lui interdisait d’être présente, elle a renversé les préjugés, entraîné la modification des règlements et inspiré des générations de sportives, partout sur la planète. Véritable pionnière, elle n’a jamais cherché la confrontation avec les hommes, mais a toujours revendiqué le droit pour chaque femme d’explorer, à armes égales, ses propres limites. Son courage et sa ténacité ont offert l’exemple décisif dont les femmes du sport, et bien au-delà, ont longtemps manqué. Une leçon de liberté, d’égale dignité et de dépassement qui, encore aujourd’hui, continue de faire battre le cœur des marathons.

En savoir plus : Site officiel de Bobbi Gibb