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En Jamaïque, au pays des hommes-canons


Publié le dimanche 17 août 2008 à 13h42min

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Malgré la chaleur torride, la tribune principale du stade national de Kingston est pleine à craquer. A la Jamaïque, les championnats d’athlétisme font recette. Des familles entières y campent, un bol de soupe aux pattes de poulet à la main, et une odeur entêtante de cannabis emplit l’air du terrain d’échauffement annexe, même si personne ne fume sur place. Entendant parler français, un grand-père efflanqué en dreadlocks, qui fait office de bénévole, s’enquiert de la santé de Roger Bambuck, finaliste du 100 m aux Jeux de Mexico en 1968.




La soixantaine barbichue et poivre et sel, l’homme, Michael Frey, fut rival sur la piste, il y a quarante ans, de l’ex-secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports. Non loin déambule Donovan Bailey, le champion olympique et ex-recordman du monde du 100 m pour le Canada en 1996. De parents jamaïcains, il a établi sa résidence "d’hiver" dans leur île originelle. C’est sous ses yeux et dans cette atmosphère festive, fin juin, que se sont qualifiés pour les Jeux de Pékin les Jamaïcains Usain Bolt et Asafa Powell, tous deux favoris avec l’Américain Tyson Gay du 100 m olympique dont les séries sont disputées ce vendredi 15 août à Pékin.

Mais le spectacle de ces championnats n’attire pas seulement une foule d’inconnus et d’ex-champions. C’est aussi un pèlerinage que Patrick Robinson ne manquerait pour rien au monde. Juge au tribunal pénal international de La Haye pour l’ex-Yougoslavie, il revient chaque année à cette époque dans son île natale pour suivre les épreuves en direct. "L’athlétisme a fait autant que Bob Marley pour la Jamaïque", affirme-t-il. Du coup, il a pris le temps d’écrire un ouvrage pédagogique sur la question : L’athlétisme jamaïcain : un modèle pour le monde, paru en 2007.

35.000 SPECTATEURS POUR VOIR DES ECOLIERS

Le magistrat y conte l’histoire d’un sport qui s’est construit depuis 1910 sur un système de compétitions scolaires. A la Jamaïque, l’athlétisme fait jeu égal avec le football. Jusqu’à l’âge de 15 ans, chaque enfant tâte de la piste tous les après-midis, après la fin des cours, vers 13 heures. Chaque école - ou ses anciens élèves - rémunère un coach, et plutôt bien selon les standards locaux. Les "Boys and Girls Champs" constituent l’événement sportif de l’année.

Ce championnat des écoliers en culotte courte âgés de 8 à 18 ans remplit le stade national de 35 000 places les deux derniers des quatre jours qu’il dure. Autre indice de cette ferveur : cette année, une compétition nationale scolaire a rassemblé pas moins de 48 séries de 8 concurrents sur 400 m. Au sommet de cette pyramide à la base immense se trouvent désormais Usain Bolt et Asafa Powell. Avec ses grands compas, le premier, qui culmine à 1,96 m, a chipé le record du monde du 100 m au second le 31 mai à New York, en 9 s 72 contre 9 s 74.

Le duo de sprinters est l’héritier d’une longue tradition, marquée par les exploits d’Arthur Wint, qui a apporté à l’île son premier titre olympique sur 400 m en 1948, de Don Quarrie, champion olympique du 200 m à Montréal en 1976, ou de Merlene Ottey, détentrice de 9 médailles olympiques glanées entre 1980 et 2000. La Jamaïque, terre de sprint, le phénomène n’est donc pas nouveau. Mais ce que Bolt et Powell ont prouvé, c’est qu’on peut réussir au plus haut niveau dans un pays de 2,7 millions d’habitants, sans avoir à s’expatrier aux Etats-Unis, où le système universitaire américain offre des bourses d’études et un système médical plus sophistiqué.

LES STARS S’ENTRAINENT MAINTENANT AU PAYS

Longtemps, l’exil fut inévitable. Selon Patrick Robinson, c’est après les championnats du monde junior de 1998 disputés dans les Caraïbes que le virage s’est amorcé. "Les entraîneurs jamaïcains en ont eu assez de voir leurs homologues américains s’octroyer le crédit des résultats d’athlètes qu’ils avaient formés", souligne le magistrat. Et si 80 % des athlètes jamaïcains continuent de vivre et de s’entraîner chez le grand voisin, les stars de l’île se préparent désormais au bercail : les deux rivaux du 100 m olympique, donc, mais aussi la coureuse de 100 m haies Bridget Foster-Hylton, championne du monde en 2003, ou la championne olympique en titre du 200 m, Veronica Campbell.

Asafa Powell est ainsi membre du "MVP", un club qui compte près de 70 athlètes de niveau national ou international dirigé par Stephen Francis, ancien consultant dans une société d’audit financier. Usain Bolt, lui, appartient au Racers Track Club de Glenn Mills. "Au départ, je pensais qu’il devait partir aux Etats-Unis parce qu’il était fainéant et qu’il aimait faire la fête, ce qui est facile ici", explique Grace Jackson, vice-championne olympique du 200 m en 1988, revenue au pays bardée de diplômes américains et directrice des sports de l’université des West Indies à Mona, près de Kingston. "Il m’a fait ravaler mes mots, continue-t-elle. Son succès comme celui d’Asafa attirent aujourd’hui chez nous d’autres athlètes caribéens."

Bien sûr, tout n’est pas parfait. Dans ce pays qui ne connaît pas l’hiver, les séances d’entraînement du matin ont lieu aux aurores sur des pistes en herbe. Ici, on relativise en expliquant que ce terrain réduit les risques de blessures.

La Jamaïque ne dispose pas non plus d’une agence nationale antidopage. Pour combler cette lacune, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) envoie régulièrement des contrôleurs depuis les Etats-Unis. Eux aussi ont assisté aux championnats nationaux. Ils ne sont pas venus pour rien. A l’issue des épreuves de sélection, un relayeur du 4 × 100 m - Julien Dunkley - a été exclu de l’équipe de Jamaïque après un contrôle positif aux stéroïdes anabolisants.


Voir en ligne : Le Monde

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